De nouvelles études révèlent la nécessité de réorienter les dépenses publiques en Afrique vers la petite enfance

Comment les pays africains peuvent optimiser l’impact de leurs dépenses sociales et renforcer efficacement le capital humain qui peut favoriser une croissance équitable en repensant la répartition des ressources pour les enfants en fonction de leur âge.

09 janvier 2025 par Sarah Hague, UNICEF, et Joa Keis, GPE Secretariat
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Lecture : 5 minutes
Des élèves de l'école maternelle St Luke à Wilberforce, en Sierra Leone.
Des élèves de l'école maternelle St Luke à Wilberforce, en Sierra Leone.
Credit: Banque mondiale/Erick Kaglan

Cet article est basé sur la récente publication de l'UNICEF Afrique, réalisée en partenariat avec la fondation Learning for Wellbeing.

Les dépenses sociales publiques en Afrique ont-elles un impact moins important que prévu sur le développement du capital humain ? Jusqu'à présent, malgré la reconnaissance de la nécessité d'investir dans le capital humain, les données permettant de répondre à cette question ont fait cruellement défaut.

S'appuyant sur le rapport Too Little Too Late du Centre de recherche Innocenti de l'UNICEF, une note politique de l'UNICEF et de la fondation Learning for Wellbeing permet de combler le manque de données probantes sur les dépenses publiques consacrées aux enfants en fonction de l'âge.

Un déséquilibre flagrant apparaît clairement : les dépenses publiques en Afrique vont en grande majorité aux enfants plus âgés, négligeant les enfants les plus jeunes pendant leurs années de développement les plus importantes.

Ce déséquilibre - qui contraste fortement avec le schéma de dépenses publiques dans les pays à revenu élevé et à revenu intermédiaire de la tranche supérieure - compromet les bases nécessaires pour maximiser les retours sur investissement dans des secteurs clés tels que l’éducation, la santé et la protection sociale.

Si l’Afrique veut optimiser l’impact de ses dépenses publiques sociales et développer efficacement un capital humain susceptible de favoriser une croissance équitable, les décideurs politiques doivent repenser la manière dont les ressources destinées aux enfants sont distribuées en fonction de l'âge.

Comme le soulignent L'Année de l'éducation 2024 de l'Union africaine ainsi que le document intitulé : Former les africains pour affronter le 21e siècle, l'investissement dans l'éducation est un élément essentiel de la réalisation de cet objectif en matière de capital humain.

Analyser et comprendre la disparité des dépenses en Afrique

La note politique analyse 26 pays d’Afrique et montre qu’en moyenne, 6,5 % seulement des dépenses sociales consacrées aux enfants sont destinées aux enfants âgés de 0 à 5 ans, bien que ce groupe d'âge représente environ un tiers des enfants du continent. En revanche, 55 % de ces dépenses sont consacrées aux enfants âgés de 12 à 17 ans (voir figure 1).

Pour chaque dollar dépensé en Afrique pour un enfant d’un an, les gouvernements dépensent près de 16 fois plus pour un enfant âgé de 15 ans.

Fit for the Future: How a Rethink of the Human Capital Model is Needed in Africa to Optimise the Return on Social Spending. Note politique. Octobre 2024
Fit for the Future: How a Rethink of the Human Capital Model is Needed in Africa to Optimise the Return on Social Spending. Note politique. Octobre 2024

Cela fait contraste avec les pays à revenu plus élevé (voir la figure 2 pour les pays du G20) qui allouent 27 % des mêmes dépenses sociales liées à l'enfance aux enfants âgés de 0 à 5 ans, avec un soutien notable (essentiellement des allocations familiales) de la grossesse jusqu’à l'âge de 2 ans.

Fit for the Future: How a Rethink of the Human Capital Model is Needed in Africa to Optimise the Return on Social Spending. Note politique. Octobre 2024
Fit for the Future: How a Rethink of the Human Capital Model is Needed in Africa to Optimise the Return on Social Spending.
Note politique. Octobre 2024

Bien que les investissements en faveur des enfants plus âgés soient essentiels, ce schéma de dépenses ne tient pas compte d'une vérité fondamentale : les investissements en faveur des enfants plus âgés sont beaucoup moins efficaces s'ils ne reposent pas sur des bases solides établies au cours de la petite enfance. Il est donc inefficace, en termes de rentabilité, de négliger l’éducation et la protection de la petite enfance.

Des études montrent qu’investir dans la petite enfance (l’éducation préscolaire, la garde d’enfants et les allocations pour jeunes enfants) est très rentable car cela favorise le développement cognitif, physique et émotionnel des enfants avec des taux de rendement allant de 7 % a 13 % et plus (selon la méthode de mesure utilisée).

Sans ces investissements, les enfants peinent à profiter pleinement de l’éducation ou de la formation professionnelle lorsqu’ils sont plus âgés ce qui entraîne un gaspillage de ressources et des opportunités manquées.

Les avantages d’investir dans l’éducation de la petite enfance découlent de la réduction des coûts sociaux (tels que les coûts liés à la santé ou au rattrapage scolaire) et de l’augmentation de la productivité économique.

En mettant la priorité sur les enfants plus âgés, les modèles de dépenses actuels en Afrique ne permettent pas de tirer parti de cette opportunité, figeant les familles et les pays dans un cycle d’inégalité et d’inefficacité.

Sans investissements adéquats dans le développement global des enfants, ceux-ci sont moins à même de développer les compétences fondamentales et adaptées au 21e siècle nécessaires pour réussir à l'école et s'adapter aux besoins d'une économie mondiale en rapide évolution.

Une ligne de départ peu équitable

Il est également inéquitable d'allouer les dépenses sociales aux enfants essentiellement lorsqu'ils sont plus âgés. Si les enfants sont plus susceptibles que les adultes de vivre dans la pauvreté en Afrique (40 % des enfants vivent dans l'extrême pauvreté contre 29 % des adultes), les plus jeunes d’entre eux sont les plus durement touchés : environ deux tiers des enfants vivant dans l'extrême pauvreté ont moins de 10 ans.

Cette inégalité en matière de bien-être est encore aggravée par l’inégalité dans les dépenses publiques.

Les ressources publiques consacrées à l’éducation en Afrique sont souvent plus susceptibles d'être orientées vers l’enseignement secondaire et tertiaire - des secteurs dont bénéficient généralement un groupe plus restreint d’enfants qui reçoivent déjà davantage de ressources.

Les gouvernements d’Afrique consacrent environ 2 % de leur budget de l’éducation à l’éducation préscolaire, tandis que 20 % en moyenne sont affectés à l’enseignement tertiaire. En outre, 13 des 40 gouvernements pour lesquels des données sont disponibles n’investissent aucune ressource dans l’éducation préscolaire alors que l’enseignement tertiaire continue d'être privilégié.

Pour les enfants plus jeunes laissés de côté jusqu'à leur entrée dans l’enseignement secondaire ou au-delà (à condition de poursuivre leurs études), de tels investissements dans l’éducation arrivent trop tard pour soutenir réellement leur apprentissage et leur développement. En conséquence, le modèle actuel de dépenses sociales en Afrique risque de perpétuer les inégalités systémiques plutôt que de les combattre.

Favoriser un financement équitable en faveur des enfants en Afrique : un appel à l’action pour les décideurs politiques

Le déséquilibre des dépenses publiques en faveur d’enfants plus âgés illustre une inefficacité structurelle que l’Afrique ne peut se permettre. En concentrant les dépenses tard dans la vie d’un enfant, les gouvernements compromettent les bases mêmes sur lesquelles reposent les avenirs.

Mieux équilibrer les dépenses sociales pour les enfants de tous les âges est une démarche judicieuse, représentant une utilisation plus efficiente, efficace et équitable de ressources limitées.

De nombreux pays d’Afrique n’ont pas d’allocation familiale en place ce qui signifie que les nouveaux parents ne disposent pas de ce revenu supplémentaire leur permettant de soutenir leur famille durant cette période délicate.

Par ailleurs, les dépenses consacrées à l'éducation de la petite enfance sont bien inférieures aux 10 % recommandés pour les budgets nationaux de l'éducation dans la plupart des pays d'Afrique.

Près de la moitié des pays partenaires du GPE (44) se situent en Afrique et 45 % d'entre eux ont choisi d’intégrer l'éducation de la petite enfance à leur réforme prioritaire dans le cadre de leur pacte de partenariat pour la transformation de leurs systèmes éducatifs.

En Sierra Leone et au Malawi, encourager un dialogue politique inclusif, promouvoir la coordination entre les ministères et établir des politiques nationales pour le développement de la petite enfance ont été essentiels afin de poser les bases du capital humain dans les premières années de la vie.

Toutefois, un changement ciblé est nécessaire afin de rééquilibrer les dépenses publiques et d’investir plus équitablement dans la petite enfance.

La volonté politique de faire progresser les programmes nationaux en faveur de la petite enfance existe à travers toute l’Afrique comme cela a pu être constaté lors de la Conférence Africa Foundational Learning Exchange (FLEX) qui s’est tenue en novembre 2024 et lors de laquelle les gouvernements ont promis de mettre fin à la pauvreté des apprentissages en Afrique d’ici 2035.

Le GPE, en collaboration avec l’UNICEF, maintient fermement son engagement à travailler avec les pays partenaires en Afrique afin d’assurer que le financement de l’éducation de la petite enfance soutienne la mise en œuvre de politiques intégrées et multisectorielles qui adoptent une approche holistique afin de promouvoir le développement des enfants.

Nous espérons que les nouvelles informations contenues dans la note politique permettront aux parties prenantes en Afrique de porter un regard critique sur la manière d’équilibrer les dépenses, sur les politiques et les programmes qui manquent en faveur des plus jeunes, et sur la manière de travailler afin de progressivement combler les lacunes et soutenir les enfants plus efficacement et plus équitablement, en particulier les plus jeunes - ceux qui ont le plus grand potentiel pour briser les cycles intergénérationnels de pauvreté et d’inégalité.

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