Libérer le potentiel de l'éducation : la langue maternelle, véritable accélérateur de l’apprentissage fondamental

À quoi ressemble l’apprentissage de base dans la région Asie-Pacifique et comment il est étroitement lié aux décisions en matière de langue dans l’éducation, notamment aux stratégies de développement professionnel des enseignants et à la recherche générée au niveau national.

21 février 2024 par Brandon Darr, UNESCO Regional Office in Bangkok
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Lecture : 4 minutes
Des élèves de première année s'entraînant à lire l'écriture khmère à l'école primaire de Chambak Haer, dans le district de Puok à Siem Reap au Cambodge. Crédit : GPE/Roun Ry
Des élèves de première année s'entraînant à lire l'écriture khmère à l'école primaire de Chambak Haer, dans le district de Puok à Siem Reap au Cambodge.
Credit: GPE/Roun Ry

À l'heure où les appels à la relance et à la transformation de l'éducation se font nombreux, le thème de la Journée internationale de la langue maternelle tombe à point cette année : « L’éducation multilingue, un pilier de l’apprentissage intergénérationnel ».

Il est important de rappeler en effet que la réussite future de tout apprenant dépend de son apprentissage fondamental, lequel est à la fois une plateforme et un véritable pilier du parcours scolaire et professionnel de chacun, voire de la vie en général.

Que doivent faire les décideurs politiques de l’éducation, cependant, quand cette fondation, qui repose sur des compétences en lecture, en écriture et en calcul, ainsi que sur des compétences transférables, est grandement fragilisée par le fait que les jeunes élèves ne comprennent pas la langue d'enseignement en classe ?

L’apprentissage fondamental et la langue d'enseignement dans la région Asie-Pacifique

Dans toute la région Asie-Pacifique, qui abrite plus de 60 % de la population mondiale, selon les données de l'UNESCO , tous les élèves n'atteignent pas les niveaux minimaux de maîtrise des compétences. L'atteinte de l'indicateur 4.1.1 des objectifs de développement durable (ODD) d'ici 2030 est grandement compromise.

La Base de données mondiale sur les inégalités dans l'éducation (WIDE) de l'UNESCO révèle des différences notables dans les niveaux minimaux de maîtrise des apprentissages entre les élèves qui parlent la même langue à la maison et en classe, par rapport aux autres (indicateur 4.5.2 des ODD).

Selon WIDE, l'étude du Programme international de recherche en lecture scolaire (PIRLS) menée en 2016 à Singapour indique que 98 % des élèves qui parlent la langue d'enseignement à la maison ont réussi les 4 niveaux de difficulté croissante de l'examen de lecture, contre 86 % seulement de ceux qui ne parlent pas la langue d'enseignement à la maison.

Des différences semblables ont été constatées dans d'autres pays de la région Asie-Pacifique, notamment au Kazakhstan (3 points de pourcentage) et en République islamique d'Iran (29 points de pourcentage).

Dans les pays multilingues, les classes des premières années de scolarité comptent souvent un nombre plus restreint d'élèves dont la langue parlée à la maison, langue première ou encore langue maternelle, est aussi la langue d'enseignement. Par exemple, aux Philippines, un pays où sont parlées plus de 170 langues, environ 1 élève sur 4 seulement utilise sa langue maternelle à l'école.

Cette réalité transparaît également dans les résultats d’apprentissage. Selon les résultats 2019 du Système d’évaluation de l'apprentissage primaire en Asie du Sud-Est (SEA PLM), les élèves qui parlent la langue d'enseignement à la maison obtiennent de meilleurs résultats que leurs pairs en lecture, écriture et mathématiques, dans 5 pays.

Les pays dans toute la région Asie-Pacifique reconnaissent enfin le rôle essentiel d'une éducation multilingue fondée sur la langue maternelle pour accélérer un apprentissage de qualité, et en particulier, favoriser l’apprentissage fondamental.

Lors du 4e Forum politique de haut niveau sur l'éducation multilingue à Bangkok, les délégués de 20 pays1 ont adopté les priorités 2023 de Bangkok en matière d'intervention pour l'éducation multilingue fondée sur la langue maternelle, faisant fond du plan d'action énoncé dans la Déclaration de Bangkok sur la langue et l'inclusion de 2019.

Bien qu'il y ait plusieurs domaines d’action prioritaires, l'UNESCO reconnaît la nécessité, urgente, de mettre l'accent sur les données, les enseignants et la recherche dans toute la région.

La ventilation des données permet de recenser les langues utilisées en classe

La collecte systématique de données ventilées en fonction de la langue maternelle ou de la langue parlée à la maison est une étape fondamentale pour comprendre les obstacles et les lacunes linguistiques en matière d'apprentissage fondamental. Ce mécanisme permet d'informer les enseignants des langues en présence dans la salle de classe, notamment les divers niveaux de maîtrise.

Ces données apportent également un éclairage sur la manière dont ces facteurs peuvent influer, à terme, sur les pratiques d'enseignement et d'apprentissage.

Une activité importante pour réunir des éléments probants est la cartographie des langues. Ce travail permet aux écoles de savoir quelles sont les capacités linguistiques des élèves et des enseignants, comme cela a été réalisé en Inde.

Le processus consiste, notamment, à mener des enquêtes auprès des ménages, des observations en classe et des entretiens avec les diverses parties intéressées. Le but est de générer des éléments probants pour mettre en œuvre l'éducation multilingue fondée sur la langue maternelle au niveau de chaque État.

Pour soutenir l’apprentissage fondamental en classe dans les contextes multilingues, l'éducation multilingue fondée sur la langue maternelle doit être également être intégrée au niveau systémique.

Un élève lisant un livre en bengali à l’école primaire d’Azimpur, à Dhaka au Bangladesh. Crédit : GPE/Chantal Rigaud
Un élève lisant un livre en bengali à l’école primaire d’Azimpur, à Dhaka au Bangladesh.
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GPE/Chantal Rigaud

Les systèmes d'information pour la gestion de l'éducation (SIGE) devraient systématiquement collecter des données sur les langues maternelles des élèves, contribuer à l'indicateur 4.5.2. des ODD et fournir des analyses mettant en corrélation l'éducation multilingue fondée sur la langue maternelle avec les résultats d’apprentissage.

Préparer les enseignants à encadrer des élèves multilingues

Les enseignants jouent un rôle primordial en dispensant un apprentissage fondamental aux élèves issus de contextes linguistiques non dominants, en particulier quand ils comprennent à la fois la langue nationale et la langue maternelle de leurs élèves.

L'éducation multilingue fondée sur la langue maternelle permet aux enseignants comme aux élèves d'utiliser tout leur répertoire linguistique pour exprimer leur compréhension du contenu.

Dans une étude menée auprès d'écoles d'ethnie coréenne en Chine, on a utilisé des activités de translanguaging pour permettre aux élèves de puiser dans leur connaissance existante du coréen et du mandarin de manière à apprendre l'anglais plus facilement.

Pour suivre les progrès réalisés en faveur de l’apprentissage fondamental, les évaluations doivent être adaptées de manière à tenir compte de la complexité de l'apprentissage chez les élèves multilingues et de leurs aptitudes dans les différentes langues.

Dans un guide à paraître, l'UNESCO et l'UNICEF présenteront des stratégies et des facteurs importants pour adapter les évaluations sommatives et formatives en classe aux élèves multilingues.

Le besoin de recherche et d'orientation à l'avenir

Une recherche de haute qualité générée au niveau national est cruciale pour constituer une base solide de données probantes sur l’éducation multilingue basée sur la langue maternelle.

Bien qu’il existe plusieurs cas de mise en œuvre réussie, comme en Indonésie où une langue autochtone et son système de comptage ont été utilisés pour améliorer les compétences en mathématiques, des recherches supplémentaires sont nécessaires sur l’impact de l'éducation multilingue fondée sur la langue maternelle sur l’apprentissage dans la région Asie-Pacifique.

Les pays ont également besoin de plus d'orientation. Au titre du suivi des Priorités de Bangkok, le Groupe de travail sur l'éducation multilingue pour la région Asie-Pacifique entend créer une feuille de route régionale en consultation avec les gouvernements et les organisations de la société civile visant à contrôler et à mettre en œuvre les domaines prioritaires de l'éducation multilingue fondée sur la langue maternelle. Ces domaines pourront être adaptés aux besoins à l'échelle nationale et sous-nationale.

Munis d'outils plus précis et d'une orientation plus claire, les pays seront mieux équipés pour accélérer l'apprentissage des élèves vulnérables sur le plan linguistique dès les premières années de leur apprentissage fondamental.

  1. Bangladesh, Brunei Darussalam, Cambodge, République populaire de Chine, Îles Cook, Fidji, Inde, Indonésie, Kiribati, République démocratique populaire lao, Malaisie, Îles Marshall, Nauru, Népal, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Philippines, Thaïlande, Timor-Oriental, Ouzbékistan et Vietnam.

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