La pédagogie centrée sur l’apprenant : un « localisme mondialisé »
La pédagogie centrée sur l’apprenant fait des apprenants des participants actifs de leur propre apprentissage, leur éducation étant le fruit de leurs intérêts, de leurs connaissances antérieures et de leur recherche active. Ces dernières décennies, elle s’est répandue dans le monde, largement considérée comme « bonne pratique » éducative par les acteurs du développement international et les gouvernements.
28 novembre 2016 par Christabel Pinto, Room to Read
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Lecture : 8 minutes
Cours de langue hindi dans le nord de l’Inde. Crédit : Christabel Pinto

L'enseignante de cette classe de l’Uttar Pradesh en Inde faisait de son mieux pour « bien » faire. Ses élèves étaient répartis en groupes, auxquels elle donnait du matériel pédagogique à manipuler et appelait les élèves au tableau pour diriger la lecture.

Ce que la photo ne montre pas, c’est qu’il manquait là une composante essentielle de la leçon : un objectif d’apprentissage autour duquel organiser la leçon.

Sans structure ni intention, la leçon en hindi devait probablement produire des effets limités en termes d’apprentissage. Les élèves étaient certes répartis en groupes, mais n’avaient pas d'exercice spécifique à faire, et l’un des groupes se voyait remettre des lettres en plastique de l'alphabet anglais au lieu de l'alphabet hindi.

Voilà ce que je me suis dit alors : nous avons là un exemple de pédagogie centrée sur l’apprenant (PCA) qui a mal tourné. À quel moment, en tant qu’acteurs du développement du secteur éducatif, avons-nous donc perdu cette enseignante ?

Cela donne matière à réflexion : ses élèves et elle auraient-ils mieux réussi sans nous ? L’apprentissage aurait-il été plus complet s’il s’était agi d’une leçon à apprendre par cœur plutôt que cette tentative de leçon centrée sur l’apprenant, qui s’écarte des objectifs d’apprentissage et de toute planification de séance ?

Exporter la pédagogie centrée sur l’apprenant dans le monde

La PCA fait des apprenants des participants actifs de leur propre apprentissage, leur éducation étant le fruit de leurs intérêts, de leurs connaissances antérieures et de leur recherche active.

Ces dernières décennies, la PCA s’est répandue dans le monde, largement considérée comme « bonne pratique » éducative par les acteurs du développement international et les gouvernements nationaux.

Malgré son importance dans les politiques éducatives, sa mise en œuvre reste un défi, et les modifications des pratiques en classe, limitées. Les chercheurs signalent un certain « effet de rejet » (Harley et al., 2000 dans Schweisfurth, 2013) lorsque les enseignants et les apprenants s'efforcent de passer à la PCA, semblable à l’organe rejeté par le bénéficiaire d'une greffe.

Ceci n’est pas surprenant si on garde à l’esprit le fait que la PCA a été développée dans un contexte local particulier. Elle incarne des valeurs culturelles spécifiques et considère pour acquis une abondance matérielle et un accès aux technologies de l’information et de la communication (Vavrus et Bartlett, 2012).

Exportée dans le monde entier, « la PCA est devenue un localisme mondialisé, occultant l’essentiel de sa spécificité culturelle, historique et matérielle » (Vavrus et Bartlett, 2012, p.640).

Les approches soutenant la PCA

Contrainte non négligeable dans la mise en œuvre de la PCA, le fait est que celle-ci est peu comprise par les enseignants et leurs formateurs. Les enseignants bénéficient souvent d’un développement professionnel inadéquat et superficiel qui les laisse avec une compréhension de la PCA au mieux rudimentaire, voire incorrecte.

On peut leur apprendre à inclure le travail en groupe dans leur leçon, sans s’assurer d’une compréhension approfondie et d’un ensemble de compétences nécessaires à une gestion productive du travail en groupe, notamment : pourquoi le faire, quand est-il approprié et comment gérer les groupes d’enfants pour que ce type de travail soit bénéfique à leur apprentissage.

Si nous voulons aider les enseignants à adopter la PCA dans leur classe, il nous faut :

  1. Reconnaître le défi de taille que constitue le fait de demander aux enseignants de comprendre et mettre en œuvre une pédagogie dont ni eux ni leurs formateurs ont fait l’expérience, et investir dans un développement professionnel des enseignants qui leur permette une plus grande implication, un fondement théorique, du débat, de la réflexion et un soutien aux pratiques de PCA en classe.
  2. Localiser le « localisme mondialisé » : au lieu de tenter futilement de balayer les pratiques pédagogiques existantes et de les remplacer par la PCA, il nous faut écouter les enseignants, comprendre et respecter leurs réalités locales, adapter les principes d'une approche centrée sur l'apprenant au contexte local et s'appuyer sur les méthodes pédagogiques existantes. Comme le suggère Schweisfurth (2013), la PCA peut être « un ensemble de lignes plutôt qu’un absolu particulier, qui n’a qu’une seule configuration internationale » (p.5).
  3. Incarner le changement que nous aimerions voir dans les classes. Les formations d’enseignants ayant une approche de transmission sont nombreuses ! Il nous faut former les enseignants comme nous aimerions les voir enseigner, afin d’inspirer le changement, de former les pratiques pédagogiques et de donner le contrôle aux enseignants en tant que participants actifs de leur propre apprentissage. Les présentations Powerpoint sont rarement source d’inspiration, et l’utilisation de matériels dont les enseignants ne disposent pas dans leur propre salle de classe n'aide en rien. À tout le moins, on nous rappellera combien l'enseignement est difficile et on nous alertera contre l’ignorance de la complexité des stratégies pédagogiques grâce à des astuces rapides telles que « travailler en groupe ».
  4. Valoriser et renforcer les fondamentaux : la planification des séances est essentielle à l'enseignement : il s’agit de détailler un programme en séquences logiques de leçons, produire un objectif d’apprentissage spécifique pour les élèves à chaque leçon, concevoir des activités et des évaluations utiles pour chaque leçon dans la perspective de l’objectif d'apprentissage et planifier la leçon suivante selon les avancées. Tout développement professionnel que nous fournissons aux enseignants doit renforcer et valoriser les compétences de base, afin que celles-ci ne soient pas oubliées dans la quête d’un apprentissage centré sur l’apprenant et « actif ».

Enfin, si nous espérons faire évoluer les enseignants sur la voie d'approches plus centrées sur l'apprenant, il est essentiel de plaider pour des changements systémiques en soutien à une évolution pédagogique.

La PCA, avec ses recherches actives et son analyse approfondie, n’est pas pratique si, au final, l’avenir de l’éducation des élèves et de leur carrière dépend d’examens nationaux aux enjeux importants, qui testent leurs connaissances et de grandes quantités d’informations factuelles.

Bibliographie

Schweisfurth, M. (2013). Learner-Centered Education in International Perspective. Journal of International and Comparative Education, 2 (1), 1-7.

Vavrus, F. et L. Bartlett (2012). Comparative Pedagogies and Epistemological Diversity : Social and Materials Contexts of Teaching in Tanzania. Comparative Education Review, 56 (4), 634-655

Lire aussi

Thanks for this blog that heat down the uncritical halleluja for the concept of learning centered pedagogy. Its evident that the move from teaching to learning should be seen as progress and welcomed, but trying to find one path would be wrong. Teaching and learning is about using different methods, for variations and to adapt to the situation based on resources available.

In Norway in the mid 90's the government launched a large project called "responsibility for own learning". In short, putting the responsibility on the shoulders of the learner, expecting him/her to know what it takes learn and integrate the learning process by themselves with the teachers as their facilitators and guides on this adventure.
The results were quite clear, the pupils from the strongest socio/economic family background benefitted and continued to perform good, while those pupils with less support from their parents were not able to benefit and in fact achieved less than under the previous teacher centered learning. I'm not arguing against focusing on the learner, but the methods needs to be many, cultural sensitive and adapted to the classrooms situation.

Hi Christabel,
Good to read this. I've put down some of my own frustrations and suggestions in a Routledge publication, The Critical Global Educator, which follows an Unconditional Pass PhD at UCL-IoE London University. That resulted from life and work in around 40 countries, in Asia, Africa, the Middle East, China and Eastern Europe.

Until we get the balance right, valuing the language and culture of those we profess to 'teach', this linguistic imperialism will continue to be funded and no fun at all!

All the best for your mission.

Maureen

Teachers must vary their methods of lesson delivery all the time. There is no true or tried method!

Great article. I agree that LCP needs to be localised and integrated into the context of where the teaching is taking place. However, for it to work effectively even after all the suggestions made, it needs to be supported. Working in Zambia and Sub-Saharan Africa, I have observed first hand how teachers embrace LCP, planning for the lessons and the objectives they are looking to achieve and trying very hard to move away from rote learning methodology. As this is a 'new' approach to teaching, some teachers stop when students get engaged and they are not clear on behavioural management techniques. That's where the support needs to come in, for teachers to be mentored through this process. They might received modelled training quite alright, but for those already in the system, mentoring and further professional development support is key to achieving high quality education for all.

Your last point really hit home for me. Value and strengthen the fundamentals. Yes! We're pushing so hard for that group work, pair work, teaching for all learning styles, learner work displayed for all to see, etc. that we, outsiders, sometimes (often?) forget about the goals of learners and teachers. Grounding our teacher professional development work in government curriculum, teachers' lesson plans, and teachers' learning objectives for their students will keep us honest, and maybe even allow us to be effective. I'm going to refer back to each of your four points but your valuing and strengthening the fundamentals is going to stick with me. No more workshops, training sessions, or program designs before looking closely at what teachers, and education administrators and policy makers, are striving for in their schools, with their lesson plans, for their learners. Thank you!

If we focus on only marks and grades may be LCP will be difficult.Make students to explore and investigate as much as they can.They need not to be judged.

It's child centred and they should get better opportunities to prove themselves.

Instead of focusing on grades, we should understand the importance of the overall development of a child.

Learning should be child friendly. Teacher should focus on concept building and developing skill of critical thinking.

Ce document est bien conçu..
Il nous nous a permis un renforcement de capacités en PCA

Merci beaucoup aux rédacteurs des REL TESSA. A travers cette formation en ligne j'ai appris pas mal de choses en matière de pédagogie et je mettrai cela en pratique lors des formations des élèves - enseignants.

En réponse à par MANGAMANA

Merci de votre commentaire.  Nous sommes heureux d'apprendre que ces informations vous sont utiles.

Vous êtes les premiers à me faire comprendre ce que signifie PEDAGOGIE CENTREE SUR L'ENFANT en français facile. Je voudrais encore comprendre davantage les différentes thématiques liées à cela et la difference entre PCA et L'Education Inclusive

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