Lors de la récente conférence sur le rôle de l’éducation dans la construction de la paix et de la cohésion sociale, j’ai eu l’occasion d’interviewer cinq participants, représentant cinq des pays partenaires du GPE sortant tout juste d'un conflit ou encore fragiles du fait de conflits passés. Ils expliquent ci-dessous comment leur pays, grâce à l’éducation, tente de bâtir une société pacifique ayant une meilleure cohésion sociale.
REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE : les jeunes peuvent être des agents de la paix
Jonas Piki-Gwezewane, Coordinateur, Secrétariat technique, Ministère de l’Éducation et de la formation professionnelle, RCA
“Tout début 2013, lorsque la crise éclatait, des jeunes issus des communautés musulmanes et chrétiennes étaient impliqués dans les combats.
Le conflit a atteint Boda fin 2013. J’y suis allé en février 2014 avec des collègues d’ONG pour commencer à parler avec les jeunes. Ce ne fut pas facile. Nous avons parlé de leur passé commun : avant, ils jouaient au foot ensemble, travaillaient ensemble. Nous leur avons dit : ʺC’est votre terre, votre patrie. Vous avez les mêmes besoins. ʺ
Nous avons organisé un club sportif en veillant à ce que les équipes comportent des joueurs des deux communautés. Nous avons également veillé à ce que les jeunes travaillent ensemble pour chaque activité de nettoyage des débris causés par les combats.
Au bout de 3 à 4 mois, plusieurs jeunes leaders ont émergé. Ils ont commencé à parler à leurs parents et à leurs familles de réconciliation. Fin 2014, des membres du parlement et des ministres sont venus à Boda pour soutenir notre action.
Quand j'y suis retourné il y a un mois, j'ai été très impressionné : la barrière entre les deux communautés avait disparue, et j'ai pu constater que les communautés étaient en interaction et vivaient réellement ensemble. Les jeunes m’ont dit : ʺSeule la concertation peut reconstruire le paysʺ
Le Ministère de l’Éducation utilise à présent cette approche dans d’autres villes du pays pour aider à sa reconstruction.” (En savoir plus sur la vie après la guerre à Boda)
LIBERIA: la reconstruction de la paix commence avec les enfants les plus jeunes
Dweh Miller, Coordinateur du programme de construction de la paix par l’éducation et le plaidoyer (Peacebuilding Education and Advocacy program - PBEA), Ministère de l’Éducation, Libéria
“Notre Ministère de l’Éducation a compris que, pour traiter la question du conflit de façon systématique dans notre pays, il fallait commencer par les élèves les plus jeunes : les enfants d’âge préscolaire.
Dans le cadre du programme de construction de la paix, nous avons développé un programme destiné à la petite enfance qui prend en compte la notion de conflit grâce, entre autre, à un partenariat avec OSIWA. Nous avons également conçu un guide pédagogique pour les enseignants contenant des informations sur les droits de l'homme, l'éducation à la citoyenneté et sur d'autres concepts relatifs à la construction de la paix.
Le PBEA a ensuite produit un manuel intitulé The Liberian Child Friendly Teacher Handbook (Manuel de l’enseignant destiné aux enfants du Libéria) qui vise à éradiquer la maltraitance des enfants, en particulier dans les écoles, à favoriser un véritable environnement d’apprentissage et de meilleures relations élève – enseignant ; et à améliorer les acquis scolaires en faisant participer les parents et les communautés.
Le livre Sara and the Plum Tree Palaver constitue une autre étape clé des actions engagées par le PBEA. Il s’agit d’un ouvrage de bande-dessinée traitant de la construction de la paix, développé et contextualisé pour pouvoir être utilisé dans les écoles libériennes. Le livre a été testé dans 20 établissements de deux comtés.
Le PBEA soutient également deux sous-programmes : le programme des jeunes bénévoles Junior National Volunteers (JNV), qui œuvre essentiellement à la construction de la paix et au renforcement de la cohésion sociale dans les communautés d’accueil ; et le programme des bénévoles nationaux National Volunteers (NV), constitué de jeunes diplômés universitaires, dont le rôle est de contribuer aux capacités en ressources humaines des différentes agences publiques dans divers domaines professionnels.
Nous devons garder à l’esprit que la durabilité de ces programmes doit être fixée dès le départ, avec un ferme engagement de l’État quant au rôle qu’il doit jouer. Sans quoi, une fois les financements des bailleurs de fonds et les soutiens extérieurs épuisés, les bénéfices ne sauraient être conservés. Cela équivaudrait à construire une maison sans en assurer les fondations.”
RWANDA: l'intégration de l'éducation à la paix dans les programmes scolaires
Solange Mukayiranga, Directrice générale de la planification de l’éducation, Ministère de l’Éducation, Rwanda
“Après le génocide de 1994, le Gouvernement rwandais s'est fixé comme priorité de bâtir une société pacifique grâce à son système éducatif.
Le Rwanda a développé un nouveau programme scolaire basé sur les compétences qui sera appliqué sur trois ans à partir de février 2016.
L’éducation à la paix est intégrée dans ce nouveau programme scolaire en tant que cours transversal dans toutes les matières, du pré-primaire au secondaire, et également comme cours à part entière du programme de sciences sociales dans le cycle primaire, d’histoire et de citoyenneté au niveau ordinaire et d’études générales et de compétences en communication au niveau avancé.
Les enseignants sont formés à l’enseignement de ce programme. Il s’agit d’un investissement à long terme, les enseignants jouant là un rôle clé dans la construction d’une société pacifique : les élèves croient ce que disent les enseignants.”
REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO : la sensibilisation de l’ensemble de la société pour former de bons citoyens
Valere Munsya, Coordonnateur de la Cellule technique de soutien, Ministère de l’Enseignement primaire, secondaire et professionnel, RDC
“Au Congo, nous intégrons des activités de construction de la paix dans la mise en œuvre de notre plan sectoriel. Nous ne pouvons en effet pas mettre en place cette stratégie, dont le développement a été un long processus, sans prendre en compte la notion de conflit. L’Est du pays connaît encore des difficultés, ce qui entraîne toujours pour de nombreux enfants l’impossibilité de fréquenter l'école.
Au-delà de l’éducation, nous poursuivons notre réflexion, car l’école n’est pas le seul lieu d’apprentissage pour les enfants. Ceux-ci apprennent également sur le chemin de l’école et au sein de leur famille. Dans tous ces lieux, nous devons assurer une éducation à la paix efficace.
Il y’a environ un an, le Ministère de l’Éducation de base a entrepris une nouvelle activité : l’initiation à la nouvelle citoyenneté. Grâce à ce programme, et à des individus servant de modèles de comportement, nous souhaitons enseigner aux enfants et à tous les citoyens congolais l’amour de leur pays, car s’ils grandissent en apprenant à aimer leur pays, ils ne voudront pas le détruire.”
SOUDAN DU SUD : apprendre en langues locales afin de créer la cohésion sociale
Michael Lopuke, Secrétaire principal, Ministère de l’Éducation, Soudan du sud
“La construction de la paix est un de nos principaux objectifs : notre pays a connu une longue période de guerre, et il était donc important pour nous d’inclure l'éducation à la paix dans les programmes scolaires, dont nous venons d’achever la révision.
Au Soudan du Sud, nous avons 64 groupes ethniques distincts. Notre programme comprend l’enseignement des langues maternelles au cours des trois premières années du cycle primaire. Ainsi, les enfants d’un groupe ethnique spécifique et tous les autres enfants vivant dans la même zone apprendront la même langue. Ceci crée un sens d’appartenance, favorisé par le fait d’être uni autour d’une même langue. Voilà un exemple des façons dont ce programme contribue à forger une identité.
Nous devons susciter la réconciliation des différents groupes et la confiance entre les citoyens afin que ceux-ci puissent vivre ensemble en paix et bâtir une nation prospère.”
Pour en savoir plus, vous pouvez consulter les différents ouvrages et présentations de la conférence.