Dans la classe de troisième année de l'école Patti, près de Makalondi, dans la région de Tilaberri au Niger, quatre filles peules se serrent autour d’un manuel scolaire.
Quand l’enseignante leur demande de lire à voix haute, elles suivent du doigt chaque mot sur la page – mais les seuls mots prononcés le sont par l’enseignante qui se tient près d’elles et leur souffle quasiment chaque mot.
S’il est évident que les acquis scolaires sont affectés lorsque les élèves doivent se partager un manuel à quatre, il ne s’agit pas ici d’un problème lié au manuel, mais à la langue.
La question de la langue
Il existe dix groupes ethniques au Niger et dix langues locales distinctes. Dans le programme scolaire traditionnel de l’enseignement primaire, les élèves apprennent cependant en français avec des enseignants qui ne parlent que le français et aucune des langues locales.
Une fois les filles sorties en récréation, l’enseignante exprime sa frustration : « C’est très difficile d’enseigner à des élèves qui ne comprennent que leur langue locale » explique-t-elle. « C’est douloureux, frustrant et difficile parce que je dois poser et reposer tant de fois une question avant qu’ils commencent à la comprendre. »
Ce type de scène, habituelle dans les écoles de tout le pays depuis l’ère coloniale, appartiendra bientôt au passé grâce au soutien du Partenariat mondial pour l’éducation.
La réforme des programmes scolaires
Le Niger a un des taux d’alphabétisation les plus bas au monde. En 2008, le Ministère de l’Éducation a lancé un processus de réforme des programmes scolaires, puis, il y a deux ans, un programme scolaire pilote dans 500 établissements de trois régions du pays, dont Niamey, la capitale. Le nouveau programme est enseigné quasiment exclusivement en langue locale les premières années, puis le français est progressivement introduit au cours des six années de primaire.
Ce programme est mis en œuvre grâce à un financement de 84,2 millions de dollars du Partenariat mondial pour l’éducation, avec le soutien de l’AFD et de l’Agence suisse de coopération. Une partie du programme est axée sur l’amélioration de la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage grâce à l'apport de nouveaux matériels pédagogiques, à la révision des programmes scolaires et à la fourniture de formation initiale et continue aux enseignants.
En date du mois d’août, le financement du GPE avait contribué à étendre l’initiative au pays et à élaborer des manuels scolaires et des guides de l'enseignant dans trois langues locales (buduma, gulmancema et tubu) pour les classes de première, deuxième et troisième année. Le financement du GPE a également aidé au développement de directives relatives aux langues locales pour les enseignants du préscolaire, et à la formation de 2 950 enseignants, inspecteurs, conseillers pédagogiques, formateurs et chefs d’établissement sur le nouveau programme scolaire au cours de la phase pilote. La mise en œuvre rapide du programme a conduit les autorités nigériennes à étendre le programme pilote de 500 à 5 000 écoles pour la nouvelle année scolaire (2017-2018) et à généraliser les nouveaux programmes de la première à la troisième année en 2018.
Des améliorations impressionnantes
Les résultats sont d’ores et déjà impressionnants. Les études comparatives de la performance des élèves dans les écoles traditionnelles (francophones), franco-arabes et bilingues (où les élèves apprennent dans leur langue maternelle et en français) constatent que les écoles bilingues sont les mieux classées, tandis que les écoles francophones sont les dernières.
« Le cas du Niger est une véritable leçon » explique le Directeur Général de l’École Normale d’Instituteurs de Niamey, Mamadou Boubacar.
La directrice d’établissement Namata Roukeyetou en convient, ayant pu constater par elle-même les bénéfices du nouveau programme scolaire. Son école, l’école primaire Madina III à Niamey est l’une des 500 écoles pilotes.
« Depuis qu’on a commencé la réforme il y a deux ans, le niveau de compréhension des élèves s’est tellement amélioré » déclare Mme Roukeyetou. « Comme ils ont commencé dans leur propre langue, ils sont plus à l’aise à l’école. Les élèves ont davantage confiance en eux, sont plus ouverts d’esprit et s'expriment avec plus de maîtrise, même lorsqu’ils parlent en français. »
Le passage progressif au français
Le français n’est en aucun cas exclu du nouveau programme. Il est introduit, mais de façon progressive.
« En première année, le français n’est utilisé que 30 minutes par jour » explique-t-elle. « En deuxième année, une heure par jour ; en troisième année, la moitié se fait en langue maternelle, l’autre moitié en français ; et en sixième année, les élèves n'utilisent la langue maternelle que 10 % du temps. Quand les élèves passent en septième année, ils sont prêts pour un enseignement entièrement en français. »
Motiver les parents, les élèves et les enseignants
Les seules personnes initialement opposées à cette nouvelle approche de l’apprentissage étaient les parents qui n’avaient jamais été scolarisés.
« Ils étaient très sceptiques au sujet de l’utilisation de la langue locale à l’école » explique Mme Roukeyetou. « Mais en constatant les résultats, ils ont été convaincus. Et ils sont à présent très heureux. Lorsque les élèves rentrent chez eux et parlent de ce qu’ils ont appris, les parents peuvent les aider, ce qui motive chacun encore davantage. »
Kadiadia N’Diaye, enseignante de deuxième année à l’école primaire Madina III, dit qu’elle constate chaque jour l’impact du nouveau programme scolaire.
« L’enseignement était très difficile dans le système traditionnel » explique-t-elle. « Le nouveau programme rend l'instruction bien plus facile. C’est facile pour moi en tant qu’enseignante, car je peux transmettre facilement aux élèves. Et c’est facile pour les élèves, car ils apprennent tout dans leur propre langue. Ils sont ravis d'être là ; ils sont plus impliqués en classe ; et ils comprennent de quoi on parle. »
« Mais pour moi, la plus grande différence, c’est que dès la première année, les élèves sont capables de lire sans erreur. »
De meilleures compétences pour les enfants
Le programme pilote a commencé avec cinq langues dans 500 écoles, et sur la base des premières évaluations, il est prévu de l’étendre à 5 000 autres établissements et d’y ajouter trois langues – ce qui n’est que le début.
« D’après ce qu’on a vu pour l’instant, l’impact est évident : un enfant à qui on enseigne dans sa langue maternelle comprend bien davantage ce qu'on lui enseigne » dit Mme Yacoubou.
« Nous allons réellement vers de meilleures compétences pour les enfants. »