Mariage des enfants et crise de l'éducation en Afrique : des idées pour aller de l’avant

Pour assurer son progrès et, 2030 approchant, l’Afrique doit assurer une solide coordination multisectorielle en vue de mieux reconsidérer l’impact du mariage des enfants sur d'autres secteurs, en particulier celui de l'éducation. C'est l'une des résolutions prises à l’issue d'une réunion organisée par la Campagne de l'Union africaine pour mettre fin au mariage des enfants qui a eu lieu à Johannesburg en décembre dernier.

14 janvier 2020 par Victoria Egbetayo, GPE Secretariat, et Yvette Kathurima Muhia , Girls Not Brides
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Lecture : 7 minutes
Une réunion a été organisée par la Campagne de l'Union africaine pour mettre fin au mariage des enfants, à Johannesburg en décembre dernier
Une réunion a été organisée par la Campagne de l'Union africaine pour mettre fin au mariage des enfants, à Johannesburg en décembre dernier.
Credit: PME/Victoria Egbetayo

L'approche multipartite et multisectorielle a mis en lumière l'importance de l'éducation pour mettre fin au mariage des enfants (parfois appelé mariage précoce ou forcé) en Afrique comme jamais auparavant. Cela a également mis en évidence les liens avec la crise de l'apprentissage que connait le continent, qui frappe davantage les filles et limite le potentiel de développement socio-économique de l'Afrique.

Les filles, toujours les plus touchées

Des filles non instruites sont 3 fois plus susceptibles d’être mariées avant l’âge de 18 ans (en anglais) que celles ayant fait des études secondaires ou supérieures. En Afrique, parmi les 20 pays où le nombre de mariages d'enfants est le plus élevé (en anglais) figurent le Tchad (67 %), la RCA (68 %), le Soudan du Sud (52 %), le Mali (52 %), le Niger (76 %) et la Mauritanie (37 %).

Selon le rapport sur les résultats 2018 du PME, presque tous ces pays se situent également en dessous du seuil de l'indice de parité des sexes de 0,88 pour l'achèvement du primaire et du premier cycle du secondaire. En d'autres termes, l'écart entre les sexes défavorise les filles et réduit leurs taux d'achèvement du primaire et du premier cycle du secondaire. Ces pays sont également parmi les plus pauvres et les plus touchés par les conflits dans le monde.

Des millions de filles ne sont pas scolarisées et des millions d’autres n’apprennent pas. Certains parents ne voient pas non plus la valeur, ou du moins les retombées socio-économiques à long terme de l'éducation pour les filles, vu qu’elles finiront toujours par quitter leur maison une fois mariées. Le gain économique à court terme que leur rapporterait le mariage de leur fille leur importe bien plus. Ils ignorent ainsi les avantages sur le long terme de l’éducation d’une fille pour sa famille, sa communauté et la nation toute entière.

L'Afrique en tête des inégalités en matière d'éducation

Couplée à l’impact du mariage des enfants sur l’éducation des filles, la crise mondiale de l’apprentissage frappe le plus durement l’Afrique, en particulier ses filles. Selon l'Institut de statistique de l'UNESCO (en anglais), il y a 32 millions d'enfants non scolarisés en âge de fréquenter le primaire en Afrique, et 28 millions d'adolescents non scolarisés. Ce sont les taux les plus élevés au monde.

Sans surprise, le continent affiche la plus forte proportion d'enfants incapables de bien lire à l'âge de 10 ans. L'exclusion et l'absence de compétences de base en matière d’éducation sont vécues par les filles dès le bas-âge, et celles-ci sont touchées de manière disproportionnée - avec seulement une sur trois achevant le premier cycle du secondaire.

En Afrique, les filles vivant dans des situations de conflit ont 2,5 fois moins de chance d'être scolarisées, devenant ainsi plus vulnérables à divers abus, à l'exploitation, à la violence sexiste et au mariage précoce.

Le mariage des enfants : une des causes des inégalités entre les sexes

Le mariage des enfants est à l'origine de l'inégalité entre les sexes et, l'éducation, en complément d'autres interventions sectorielles, est une des stratégies clés pour éviter aux filles d’être mariées avant l'âge de 18 ans. En plus, aller à l'école pour celles qui ont déjà des enfants peut être difficile, voire impossible.

Pourtant, nous savons que la baisse du niveau de scolarité des filles les prive de leurs droits, limite leur potentiel et fait perdre des milliards de dollars à leurs pays.

Une étude financée par le PME et menée par le Centre international de recherche sur les femmes (ICRW) et la Banque mondiale a estimé que, si le Niger, par exemple, mettait fin aux mariages des enfants, il y aurait une augmentation du niveau d'instruction et une baisse du taux de fécondité, pouvant ainsi engendrer des gains de plus de 25 milliards de dollars entre 2014 et 2030 pour le pays.

Les filles sont essentielles au capital humain de l'Afrique

Lorsque les filles ont accès à une éducation de qualité et en toute sécurité, cela est bénéfique tant pour elles-mêmes que pour la société et la nation dans son ensemble.

Les dividendes socio-économiques sont plus élevés lorsque les filles sont instruites. Chaque année de scolarisation d’une fille augmente ses revenus d'au moins 10 %. Chaque année d'études secondaires réduit pour elle la probabilité de se marier avant l'âge de 18 ans d’au moins 5 %.

De même, l'enseignement secondaire universel (12 ans de scolarité) pourrait pratiquement mettre fin au mariage des enfants et réduire la prévalence de certaines maladies enfantines de près de trois quarts - ainsi que l'impact sur la santé, la nutrition, les taux de fertilité, la capacité de prise de décision et augmenter la richesse du capital humain.

Mettre fin aux mariages des enfants aujourd’hui pourrait permettre à de nombreux gouvernements d’économiser 5 % ou plus de leur budget d’éducation d’ici 2030. Il apparait donc clairement que le mariage des enfants et l’éducation des filles sont deux questions étroitement liées qui s’affectent mutuellement.

Donner aux filles un meilleur accès à une éducation de qualité et les maintenir à l'école plus longtemps est essentiel pour éviter qu'elles se marient tôt. Cela améliore leurs perspectives ainsi que les perspectives de développement de leurs pays.

L'UA mène une campagne pour mettre fin au mariage des enfants

En réponse à la baisse lente et inégale du nombre de mariages d’enfants en Afrique, l'Union africaine a lancé, en mai 2014, une campagne pour mettre fin au mariage des enfants.

La première phase (de 2014 à 2018) s'est concentrée sur la sensibilisation aux dangers du mariage des enfants et l'augmentation de la volonté politique. La campagne a été lancée dans 28 pays d'Afrique. Certaines régions ont adopté leurs propres textes. C’est le cas de la SADC et sa la loi-cadre sur l'élimination du mariage des enfants et la protection des enfants déjà mariés ; ou de la CEDEAO et sa feuille de route pour mettre fin au mariage des enfants.

Les communautés ont également pris position contre le mariage des enfants. En juin 2019, le Grand Iman, deuxième responsable de l'Université Al-Azhar en Égypte, a déclaré une fatwa contre le mariage des enfants 'en anglais), soulignant que les mariages devraient être fondés sur le consentement mutuel des personnes de plus de 18 ans.

En Éthiopie, les dirigeants de l'Église orthodoxe ont déclaré qu'ils ne présideraient pas les mariages où l'un ou l'autre des conjoints a moins de 18 ans. Au Malawi et en Zambie, des personnalités comme le chef Chamuka, ont élaboré des statuts de chefferie interdisant le mariage des enfants. Selon le chef Chamuka : « le mariage des enfants n'a pas sa place dans la société moderne ».

De la sensibilisation à l'action

« Nous devons continuer à nous engager et à travailler ensemble pour ... produire des résultats et établir des liens entre le gouvernement et les jeunes, les chefs religieux et traditionnels, et les OSC locales, entre autres »

Dr. Jane Marie Ong'olo, chef de la protection sociale, des groupes vulnérables, du contrôle des drogues et de la prévention du crime à l'UA
Des participants à la réunion de l'UA visant à mettre fin au mariage des enfants. Johannesburg, décembre 2019.
Des participants à la réunion de l'UA visant à mettre fin au mariage des enfants. Johannesburg, décembre 2019.

Pour la prochaine phase de la campagne, l'UA cherche à passer de la simple prise de conscience des problèmes à un soutien aux États membres dans la mise en œuvre des engagements existants, et au soutien de l'application des lois et politiques pour mettre fin au mariage des enfants.

Cela ne peut se faire que dans un environnement où il existe une coordination entre les secteurs. Le mariage des enfants est une hydre. L'éradiquer nécessite un partenariat solide, à la fois entre les parties prenantes et des secteurs tels que l'éducation, la santé, la nutrition, la justice et la protection de l'enfance.

Une collaboration renforcée avec la société civile et les partenaires au développement est essentielle car, la campagne est supérieure à la somme de ses parties.

Dans le secteur de l'éducation, les parties prenantes nationales réunies en Afrique du Sud ont souligné l'importance de s'attaquer aux obstacles tels que les difficultés d'accès aux écoles ; les installations sanitaires inadéquates pour soutenir la gestion de la santé menstruelle et les lois interdisant la réintégration des filles dans les écoles.

L'appel a également permis d'édifier le programme d'études pour inclure une éducation adaptée à l'âge sur la santé et les droits sexuels ainsi que des cours pour les filles déjà mariées.

Les participants ont reconnu la nécessité d'un impact significatif au niveau des pays, et ont donc discuté des changements stratégiques clés nécessaires tels que :

  • une action accélérée au niveau des pays
  • la centralité d'une approche basée sur les droits
  • l'égalité des sexes et les approches transformatrices comme principe clé
  • de solides mécanismes de coordination multisectorielle
  • un agenda législatif solide (notamment en ce qui concerne la responsabilité des auteurs)
  • le renforcement des systèmes nationaux (éducation, santé, protection sociale et mécanismes de réponse rapide)
  • le soutien aux mouvements sociaux émergents parmi les jeunes, les chefs traditionnels et religieux et les parlementaires
  • la responsabilité mutuelle et sociale entre tous les acteurs
  • l’extension et la reproduction des bonnes pratiques, ainsi que la facilitation des échanges de connaissances et l'apprentissage.

Le document de consultation sur l'égalité entre les sexes du mécanisme de connaissances et d’innovations du PME (KIX, du sigle en anglais) identifie les lacunes en matière de recherche, de données et de preuves sur le genre, incluant le mariage des enfants, qui pourraient aider les pays en développement à apporter des changements transformationnels dans la planification et la mise en œuvre de leur secteur éducatif.

Synergies nationales, régionales et mondiales pour accélérer les progrès et l'impact

La campagne de l'UA est essentielle : elle fournit aux États membres des éléments en vue de l'adoption et de l'harmonisation de la législation en matière de lutte contre le mariage des enfants, ainsi qu'un cadre de suivi et d'évaluation.

L'intégration des parties prenantes telles que la société civile, incluant les jeunes, les chefs traditionnels et religieux et les parlementaires est primordiale, car elles jouent un rôle essentiel dans le ralliement des citoyens au niveau de leurs communautés et la garantie de la responsabilité sociale.

Les participants ont également souligné que la création de synergies avec les initiatives régionales et mondiales existantes peut favoriser les complémentarités et la coordination nécessaires. Ils ont ajouté qu'une approche concertée est nécessaire pour impliquer de nouveaux acteurs, en particulier dans le domaine de l'éducation : les ministères de l'Éducation, des acteurs tels que le Partenariat mondial pour l'éducation et le G7 ont approuvé l'initiative baptisée Priorité à l’égalité

Cette initiative a le potentiel d'attirer l'attention sur le mariage des enfants et d'autres obstacles à l'éducation des filles dans ses 8 pays pilotes, dont certains affichent les taux de prévalence les plus élevés de cette pratique. 

Elle cherche à impulser un changement stratégique en attirant l’attention sur des aspects plus larges tels que la façon dont les systèmes éducatifs peuvent faire progresser l'égalité des sexes - allant des environnements d'apprentissage sûrs, la formation et le déploiement des enseignants, le développement de programmes et de matériels d’apprentissage à l'administration et au leadership. 

L’objectif final est que la planification, la mise en œuvre, la budgétisation et le processus de reddition des comptes en matière d’éducation au niveau d’un pays visent tous à garantir que toutes les filles et tous les garçons soient éduqués, en bonne santé et en sécurité, et capables de réaliser leur plein potentiel.
 

Inclure les groupes vulnérables

L'éducation est l'un des moyens les plus puissants pour prévenir et répondre au mariage des enfants, et le mariage des enfants est à la fois une conséquence et un moteur de l'inégalité entre les sexes.

Lorsqu'il est lié à l'éducation, il est essentiel que des espaces sûrs pour les filles à risque et les filles mariées soient créés pour compléter les systèmes éducatifs formels. 

Un soutien économique et des incitations devraient être fournis pour aider les filles ainsi que les familles à surmonter les obstacles présentés par le manque d'accès à l'éducation formelle. 

En plaçant les filles au centre de toutes nos initiatives, il est essentiel que le système éducatif soutienne et intègre les groupes vulnérables, y compris les personnes souffrant de handicaps physiques et cognitifs, qui courent un risque accru d’être mariées avant l’âge de 18 ans et/ou d'être victimes d’autres pratiques sociales néfastes.

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Commentaires

Je suis vraiment ravie pour votre initiative, c'est cette position de différence de sexe qui retarde le développement en Afrique, surtout dans les villages ou les pratiques traditionnelles gagnent les terrains.
Un défis reste majore et préoccupant : les femmes dans les sciences techniques. cordialement

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