L’an dernier, le professeur Jessica Ball a clairement apporté les preuves selon lesquelles les enfants apprennent mieux dans leur langue maternelle. Elle a expliqué que la première langue d’un enfant était la langue optimale pour la littératie précoce et l'acquisition de compétences fondamentales (UNESCO, 2008a). Elle a également souligné que des recherches supplémentaires étaient nécessaires pour déterminer comment préparer au mieux les jeunes enfants aux différentes langues qui seront utilisées à l'école primaire. Comment relier efficacement l’enseignement dans la langue maternelle à un enseignement ultérieur dans une seconde langue ?
Enseigner les compétences fondamentales (littératie et numératie précoces) et la pensée critique dans une langue que l’enfant parle et comprend est un des moyens les plus efficaces de lutter contre l’échec scolaire et le décrochage dans les premières années de scolarisation. Plus important encore, ces compétences fondamentales continuent ensuite de se développer.
Répondre à la crise de l'apprentissage par l'enseignement des compétences en littératie dans la langue maternelle
L’année 2015 est la dernière pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement déterminés en 2000. Partout dans le monde, près de 250 millions d’enfants n’apprennent toujours pas les compétences de base en littératie, même après quatre années de scolarisation.
Cette « crise de l’apprentissage » touche essentiellement les élèves issus des quartiles socioéconomiques les plus faibles, des communautés rurales et isolées, ainsi que des minorités culturelles et linguistiques, qui accumulent ainsi les inégalités (Rapport mondial du suivi de l’EPT, UNESCO 2013-2014).
Il est cependant encourageant de constater l'accumulation croissante de données probantes attestant du fait que les jeunes enfants apprennent mieux dans leur langue maternelle, et de voir que ces données sont apportées par les pays en développement eux-mêmes. Pour répondre à cette crise de l’apprentissage de grande ampleur et réduire le taux de décrochage scolaire dans les premières années de scolarisation, plusieurs pays d’Afrique subsaharienne et d’ailleurs ont introduit l’enseignement en langue maternelle dans les classes de maternelle (pré-primaire).
Enseigner dans la langue maternelle favorise l’accueil des parents et des communautés. Cela permet surtout aux enseignants de communiquer dans une langue comprise par les enfants.
Les pays font également des efforts supplémentaires pour mieux planifier la transition ultérieure de l’enseignement dans la langue maternelle (Langue 1 ou L1) vers une seconde langue (L2), souvent la langue officielle du pays.
Le programme pilote Early Literacy in National Languages (Littératie précoce dans les langues nationales) en Gambie, soutenu par la Banque mondiale et le Partenariat mondial pour l’éducation en est une bonne illustration.
La figure ci-dessous extraite du rapport d’évaluation de 2014 (MoE 2014) montre des résultats prometteurs concernant les capacités de lecture dans cinq langues nationales de la Gambie (mots correctement lus par minute dans un texte). Un nombre croissant de données probantes issues d’autres programmes de littératie ayant adopté une méthodologie similaire (au Malawi et au Kenya, entre autres) montre également des améliorations encourageantes en matière de compétences fondamentales en lecture (USAID, 2014).
Fig. 1: Compétences en lecture dans cinq langues nationales de Gambie (données 2014)
Les compétences fondamentales acquises dans la langue maternelle sont reportées dans une seconde langue
Les données sur le terrain confirment le fait que les élèves ayant acquis les compétences fondamentales en littératie dans leur langue maternelle les reportent dans une seconde langue. En Gambie, les élèves ayant participé au programme ELINL et reçu un enseignement supplémentaire en lecture dans leur langue maternelle (une des 5 langues nationales) ont réalisé une meilleure performance que ceux qui n'ont bénéficié que de l'enseignement de la lecture en anglais (MoBSE, 2014).
Fig 2.
Les composantes clés d'un programme de littératie précoce en langue maternelle
Le programme ELINL est à présent reconnu comme le programme de littératie précoce le plus réussi en Gambie et il est actuellement mis en œuvre au niveau national avec le soutien de la Banque mondiale et du Partenariat mondial pour l’éducation. Les composantes clés du programme d’éducation multilingue sont les suivantes :
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L’approche de la Gambie montre aux décideurs politiques qu'un programme économique et durable de leadership national peut répondre avec succès à la crise de l'apprentissage qui touche les enfants les plus défavorisés au cours des premières années de scolarisation.
En planifiant avec soin les politiques et programmes de transition vers une seconde langue dans des contextes d'éducation multilingue, les programmes en langue maternelle contribuent à renforcer l'inclusion et la réussite des élèves les plus susceptibles de décrocher ou d'échouer.
Références
- Cross-language transfer of phonological awareness. Durgunoğlu, Aydin Y.; Nagy, William E.; Hancin-Bhatt, Barbara J. Journal of Educational Psychology, Vol 85(3), Sep 1993, 453-465. http://dx.doi.org/10.1037/0022-0663.85.3.453
- Goswami U. The development of reading across languages. Ann N Y Acad Sci. 2008 Dec;1145:1-12. doi: 10.1196/annals.1416.018. Review. PubMed PMID: 19076385.
- Benson, C., & Kosonen, K. (Eds.) (2013). Language issues in comparative education: Inclusive teaching and learning in non-dominant languages and cultures. Rotterdam: Sense Publishers.
- Zafeirakou, A., (forthcoming, March 2015). Early Literacy for All students in their Language: how Gambia is scaling the reading reform. Washington DC. The Global Partnership for Education.
- The Early Literacy in National Languages Pilot Program, Year I, Ex-post Assessment. Prepared by Pei-tseng Jenny Hsieh for the Ministry of Basic and Secondary Education, the Gambia, 2013 (unpublished report)
- The Early Literacy in National Language Pilot Program, Year III evaluation Study. Prepared by Pei-tseng Jenny Hsieh for the Ministry of Basic and Secondary Education, the Gambia, 2014 (unpublished report).
- UNESCO 2008: UNESCO (2008a). Mother Tongue Matters: Local Language as a Key to Effective Learning. Paris: UNESCO.
- UNESCO (2008b). Mother tongue instruction in early childhood education: A selected bibliography. Paris: UNESCO.
- Education Data for Decision Making eddata II, USAID: https://www.eddataglobal.org/reading/index.cfm