Le financement de l'éducation est menacé alors que les progrès en matière de dette stagnent

De nombreux pays à faible revenu n'arrivent pas à augmenter leurs dépenses d'éducation du fait des contraintes dues à l'aggravation du fardeau de la dette, ce qui limite de plus en plus les possibilités d'atteindre l'ODD 4 d'ici 2030. Il existe des solutions, mais les gouvernements et les partenaires de développement international doivent agir maintenant.

02 novembre 2022 par Carly Munnelly, Save the Children UK
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Lecture : 5 minutes
Un jeune garçon pointe du doigt la lettre F, avec l'aide de son enseignant dans une salle de classe du Népal rural. Crédit : Aisha Faquir/Banque mondiale
Un jeune garçon pointe du doigt la lettre F, avec l'aide de son enseignant dans une salle de classe du Népal rural.
Credit: Aisha Faquir/Banque mondiale

Pouvoirs publics, organisations philanthropiques, milieux universitaires et secteur privé : il y a trois semaines, tout l'éventail des acteurs du développement international était réuni à Washington, DC à l’occasion des Assemblées annuelles et Réunions de printemps du groupe de la Banque mondiale et du FMI.

La crise mondiale des apprentissages figurait en bonne place à l’ordre du jour, aux côtés d’autres sujets comme l’ampleur de l’inflation et ses effets sur le ralentissement de la croissance mondiale, ou encore l’impact du changement climatique sur le recul des progrès vers l'élimination de la pauvreté.

Le président du Groupe de la Banque mondiale, David Malpass, a exposé les répercussions catastrophiques de la pandémie de COVID-19 sur l’éducation et sur la pauvreté des apprentissages : dans les pays à revenu faible et intermédiaire, le nombre d’enfants incapables de lire et comprendre un texte simple à l’âge de 10 ans a augmenté d’un tiers entre 2019 et 2022, pour atteindre une proportion estimée à 70 %.

Les principales menaces pesant sur l’éducation concernent les enfants qui sont exposés à la fois aux risques dus à la COVID-19, au changement climatique et aux conflits.

De nombreuses questions ont été examinées, du rôle des technologies de l’éducation à l’importance que revêt la qualité de la formation du personnel enseignant, en passant par la nécessité, pour les systèmes éducatifs, de doter les jeunes des qualifications requises sur le marché du travail, aujourd’hui et à l’avenir — y compris les compétences numériques et « vertes ».

Tous ces points sont importants, mais la question incontournable est celle du financement.

Le fait est que nous savons déjà dans bien des cas ce qu’il faudrait faire, mais que nous n’avons pas les ressources financières nécessaires. Selon l’UNESCO, le déficit de financements pour l’éducation pourrait être de 200 milliards de dollars par an à l’échelle mondiale.

Nous devons mobiliser davantage de fonds pour espérer pouvoir remplir notre engagement : assurer une éducation de qualité pour tous les enfants à l’horizon 2030.

C’est dans ce domaine — le financement des services destinés aux enfants, et l’éducation en particulier — que ces Assemblées annuelles et Réunions de printemps n’ont pas permis de réaliser des progrès.

Les financements à long terme de l’éducation les plus durables sont ceux qui résultent de la mobilisation de ressources intérieures par les autorités publiques, c’est-à-dire le processus par lequel celles-ci collectent, affectent et dépensent leurs propres ressources pour fournir des services à la population.

Un grand nombre des pays les plus pauvres du monde n’ont malheureusement pas la possibilité d’accroître leurs dépenses d’éducation parce qu’ils peinent sous le fardeau des dettes de plus en plus lourdes qu’ils ont contractées envers des pays riches ou des investisseurs.

Selon une nouvelle analyse de Save the Children, un pays à revenu faible et intermédiaire de la tranche inférieure sur six a consacré des montants plus élevés au paiement du service de la dette extérieure qu’à l’éducation en 2020.

Nous ne sommes pas les seuls à tirer la sonnette d'alarme sur la crise de la dette : d'après l’UNICEF, un pays sur huit consacre un budget plus important à la dette qu’à l’éducation, à la santé et à la protection sociale réunies , tandis que les chiffres de l’organisation Debt Justice montrent que 64 pays affectent davantage de ressources au règlement de la dette qu’à la santé.

Selon I’analyse de la viabilité de la dette réalisée par le FMI, plus de la moitié des pays les plus pauvres du monde étaient déjà surendettés ou fortement menacés de l’être en septembre 2022.

La crise de la dette fait obstacle aux investissements dans les services destinés aux enfants, et cette situation est appelée à durer. D’après nos dernières prévisions, les dépenses d’éducation devraient stagner autour de 17 % des ressources budgétaires dans les pays à revenu faible et intermédiaire de la tranche inférieure, tandis que les paiements effectués au titre des intérêts devraient absorber à eux seuls 10 % de leur budget d’ici 2024, contre 7 % en 2015.

Malgré l’aggravation de la crise de la dette, les efforts du G20 semblent s’être enlisés : les initiatives d’allégement de la dette, telles que l’Initiative de suspension du service de la dette (ISSD) et le Cadre commun pour le traitement de la dette, sont parvenues à leur terme ou se sont avérées inefficaces.

Prévisions relatives aux dépenses d’éducation et au paiement d’intérêts, pays à faible revenu et à revenu intermédiaire de la tranche inférieure

estimations de l’auteure effectuées à partir des données du Macro Poverty Outlook et de l’Education Finance Watch 2022.
Source: estimations de l’auteure effectuées à partir des données du Macro Poverty Outlook et de l’Education Finance Watch 2022.

Compte tenu de l’insuffisance des financements pour l’éducation, l’ODD 4 paraît toujours plus inatteignable à l’horizon 2030. Avec ces fonds, on pourrait recruter et former davantage d’enseignants, garantir la disponibilité de matériels d’apprentissage dans les salles de classe et investir dans la reprise post-COVID, dans des cours de rattrapage et dans la poursuite des interventions visant à scolariser tous les enfants qui ne vont toujours pas à l’école.

Des solutions existent, mais les autorités publiques et les partenaires de développement internationaux doivent agir sans plus tarder. Save the Children préconise d’agir dans trois domaines dans le but d’améliorer la viabilité du financement de l’éducation et, à terme, d’atteindre l’ODD 4 :

  1. Renforcer la mobilisation de ressources intérieures en améliorant l’efficience de ce processus ainsi que celle des dépenses. Les autorités publiques doivent adopter des politiques permettant d’accroître le volume de leurs ressources budgétaires (en procédant, entre autres, à une réforme progressive de la fiscalité) ainsi que la part du budget consacré à l’éducation afin de répondre aux besoins et d’honorer les engagements pris au niveau international, notamment en consacrant 20  % du budget national à l’éducation.
  2. Donner la priorité à la réalisation de dépenses de qualité et équitables, en mettant l’accent sur l’amélioration des apprentissages chez les enfants les plus marginalisés, notamment grâce à une augmentation du volume et de la qualité de l’aide publique au développement (APD) et des financements climatiques.  Une augmentation du volume des ressources non accompagnée d’une amélioration de la qualité de ces financements ne permettra pas d’atteindre les cibles d'éducation. Les autorités publiques devraient envisager de modifier l’ordre de priorité des dépenses au profit du développement de la petite enfance et de l’éducation de base, en visant plus particulièrement les groupes d’enfants les plus marginalisés et ceux qui vivent dans la pauvreté. Les bailleurs devraient honorer les engagements qu’ils ont pris d’affecter 0,7 % de leur revenu national brut à l’APD et de porter à 15 % la part affectée à l’éducation, mais aussi de privilégier une aide pouvant être programmée par les pays bénéficiaires de manière à autonomiser ces derniers. Ils devraient également affecter 10 % des budgets humanitaires à l’éducation et accroître les financements climatiques — qui s’ajoutent à l’APD — de manière à ce que les enfants puissent continuer d’apprendre dans les situations d’urgence.
  3. Tirer parti des possibilités d’orienter des financements plus importants et de meilleure qualité vers l’éducation, notamment en assurant la viabilité de la dette, en améliorant l’accès à des prêts concessionnels viables, et en ayant recours aux droits de tirage spéciaux (DTS) et à des formes de financement novatrices. Les systèmes éducatifs ont fondamentalement besoin de plus de financements pour pouvoir atteindre les cibles de l’ODD 4. Il serait possible d’établir des flux de financement de l’éducation durables en procédant à la restructuration de la dette des pays courant un risque de surendettement ; en renforçant la gouvernance des systèmes d’endettement souverain à l’échelle mondiale et en accroissant le volume des financements sous forme de prêts concessionnels viables ; en accélérant la redistribution des allocations de DTS du FMI au profit des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, et en ayant recours à des financements novateurs, comme le fond à effet multiplicateur du GPE ou la Facilité internationale pour le financement de l’éducation (IFFEd) qui vient d’être mise en place. Save the Children soutient des mécanismes qui suivent les principes d'universalisme, d'additionnalité et de viabilité de la dette.

Les dirigeants du monde ne peuvent plus faire preuve d’attentisme. Nous pouvons, et devons, débloquer les ressources financières nécessaires pour combler le déficit de financement de l’éducation et respecter le droit de tous les enfants du monde à recevoir une éducation de qualité.

À noter : le blog a été modifié en juin 2023 pour corriger une erreur dans l'analyse des données sur le service de la dette extérieure.

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