Je m’appelle Monique Guenoune et j’ai 23 ans. Je vis à Rufisque, une petite ville près de Dakar. Je suis née sourde, comme quatre de mes cinq frères et sœurs. Mes parents sont également tous les deux sourds, et ma famille utilise la langue des signes pour communiquer. Presque tous les amis de notre famille sont sourds également.
Bénéficier d’une éducation n’était pas facile quand j’étais enfant. L’école locale n’acceptait pas les enfants comme moi, car on pensait qu’on n'était pas capables d'apprendre ; aucun des enseignants ne connaissait la langue des signes et aucun n'était formé pour enseigner à des enfants sourds.
Education ou famille : un choix impossible
Mon père a entendu parler d’une école pour les enfants malentendants à Dakar, et j’y ai été scolarisée pendant un temps, mais je devais vivre loin de la maison dans une famille d’accueil qui me traitait très mal. Quand mon père l’a su, il est venu me chercher pour me ramener à la maison. Il s’est ensuite renseigné sur une école privée pour les enfants sourds, mais n’avait pas les moyens de m’y inscrire. Ensuite, je suis restée à la maison et j’ai fait des petits boulots, comme le ménage.
Lorsqu’une association locale a commencé à proposer des cours d'alphabétisation en langue des signes, mes frères et sœurs les ont suivis. Le transport était cher, et le trajet était dangereux sur les routes chargées de chevaux, de chariots et de voitures. Ma sœur s’est fait percuter par un cheval sur la route, car elle ne l’avait pas entendu venir. Mon père a décidé qu’il valait mieux pour nous que nous restions à la maison, et donc aucun des enfants de ma famille n’a été scolarisé.
L’espoir, grâce à un nouveau programme
Puis, en 2016, un travailleur communautaire, Babacar, est venu chez nous. Il connaissait la langue des signes et nous a dit que l’école locale devenait inclusive. Les enseignants recevaient une formation en langue des signes et en méthodes pédagogiques inclusives, et lui-même avait été recruté comme assistant pour aider les enfants sourds et l'enseignant en classe.
Mon jeune frère et ma sœur (tous deux en âge d’être scolarisés en primaire) pouvaient désormais y être accueillis ! J’étais si heureuse qu’on leur donne la chance que je n’avais jamais pu avoir. Ma sœur réussit si bien à l’école qu’elle est première de sa classe ! Elle prouve à tous qu’être sourd n’empêche pas de parvenir au sommet.
La chance de m’adresser aux dirigeants du monde
Les personnes travaillant pour l'ONG Humanity & Inclusion qui soutient cette école inclusive, sont venues chez moi avec un interprète de langue des signes, pour me parler d’une importante conférence sur l’éducation à Dakar.
J’ai appris qu’il s’agissait d’une énorme conférence internationale, avec des dirigeants du monde entier, venus parler de l’importance de l’éducation et du fait qu’il était nécessaire de consacrer plus d’argent à l’éducation pour garantir à TOUS les enfants une chance d’aller à l’école.
Ils m’ont demandé si je voulais bien intervenir lors de la conférence pour parler de l’importance de l’éducation pour les enfants handicapés, au nom de mes jeunes frères et sœurs, et de tous les enfants handicapés du Sénégal. Ce fut pour moi un grand honneur de le faire, même si j'avais un peu le trac, car je n'avais jamais assisté à une conférence, et encore moins pour y faire un discours !
Obtenir les ressources nécessaires pour une éducation inclusive
Mais quand j’ai compris ce qu’il fallait que je dise, et que les gens voulaient juste entendre mon histoire et celle de mes frères et sœurs, je me suis détendue. Participer au forum de la jeunesse s’est avéré passionnant, comme de donner mon avis quand on m’a posé des questions sur ce qui devait figurer dans la déclaration des jeunes. J’étais ravie de voir que tous les autres ambassadeurs de la jeunesse présents écoutaient ce que j’avais à dire grâce à mon interprète et qu’on avait inclus mes remarques dans la déclaration.
J'ai dit que la formation des enseignants devait comprendre une partie sur la langue des signes et sur la pédagogie destinée aux enfants ayant tous types de handicaps, et que les enfants handicapés devaient avoir la possibilité d’aller à l’école.
Le lendemain, je suis montée deux fois sur la scène. J’ai eu le plaisir de voir que le public semblait intéressé par ce que je disais. L’animateur m’a demandé qui était la meilleure personne pour représenter l’éducation inclusive au Sénégal. J’ai répondu que c’était le Ministre de l’Économie, car c’est celui qui a l’argent, et que l’argent est nécessaire pour garantir une éducation à chaque enfant !
Après cette séance, j’ai donné une interview, et beaucoup de gens semblaient intéressés par mon histoire. C’était super de voir que les gens voulaient écouter ce que j’avais à dire. Certains ont également montré de l’intérêt pour l’apprentissage de signes de base, notamment certains de mes nouveaux amis du forum de la jeunesse.
Tous les enfants méritent une éducation
Mes deux jours à la conférence ont été une expérience excitante et nouvelle, et un vrai changement dans ma vie de tous les jours. En fait, cette conférence m’a redonné l’envie de reprendre mes études en tant qu'adulte.
Je suis contente d’avoir eu la chance de communiquer mon message à un si grand nombre et, je l’espère, de pouvoir contribuer à changer les choses.
Je veux que les gens comprennent que les enfants handicapés tels que les enfants sourds, ont tout autant le droit d’aller à l’école que n’importe quel autre enfant.
Il ne faut plus les laisser pour compte. Je suis heureuse de voir les choses évoluer, comparé à l'époque où je suis allée à l'école et que j’ai dû abandonner.