« L’atelier ».
Élément incontournable des programmes de développement professionnel des enseignants dans le monde entier – dans les pays riches comme les pays pauvres, qu’il s’agisse de projets financés par des bailleurs ou d’autres types de projets. Aucun autre format de développement professionnel est si étroitement, et traditionnellement, lié au développement professionnel des enseignants. En effet, pour beaucoup, l’atelier, c’est le développement professionnel des enseignants.
Pourtant, parmi de nombreux opérateurs de développement professionnel et enseignants, l’atelier fait souvent l’objet de critiques, qualifié de type de formation professionnelle inefficace pour les enseignants. Nombreux sont ceux qui déplorent le régime unique des ateliers, qui constituent la seule expérience de formation professionnelle des enseignants.
Mais les ateliers sont-ils si terribles – ou sont-ils utiles ? S’ils sont si limités que le prétendent les critiques, pourquoi y avons-nous toujours recours comme pierre angulaire du développement professionnel des enseignants ? Comment les améliorer, ou alors carrément les dépasser ? Quels autres modèles de développement professionnel devrions-nous utiliser ?
Ce lot de questions constitue le sujet des trois prochains posts. Ce premier post nous renseigne sur l’atelier classique de développement professionnel – sa définition, ses forces et ses faiblesses.
Cours de base sur les ateliers
Si vous tombez par hasard sur ce post (plutôt que le site de sport que vous recherchiez) et que vous éprouvez soudain une certaine curiosité pour l'« atelier », alors poursuivez. Pour les 99,9 % de lecteurs qui connaissent déjà les ateliers, n’hésitez pas à passer à la partie suivante !
Un atelier, c’est comme une salle de classe. Dans l’atelier classique financé par un bailleur, l’« instructeur » est un « animateur » (généralement un expert du domaine ou un spécialiste issu de l’organisation qui a remporté l’appel d’offres) et les « élèves » sont des éducateurs (par exemple, des enseignants, des formateurs d’enseignants ou des principaux) qui se déplacent dans le pays, la région, voire à l’international pour participer à l’atelier.
Comme dans une salle de classe, l'objectif de l’atelier est de transmettre un apprentissage (portant sur un programme d'apprentissage précoce de la lecture, un programme de préparation au travail, etc…). On y fait souvent des activités pour briser la glace, des démonstrations, des présentations PowerPoint, des lectures, de la modélisation, des discussions (beaucoup de discussions), des vidéos, on écrit sur un tableau à feuilles mobiles (de nombreux arbres sont ainsi sacrifiés sur l’autel de l’atelier).
Les ateliers sont généralement organisés dans un endroit central (une capitale), dans des lieux possédant une infrastructure relativement correcte et des équipements (climatisation, Internet, alimentation électrique stable). Cette séquence d’événements peut se produire plusieurs fois par an (si le projet a un bon financement) ou une fois par an (si ce n’est pas le cas) ou une seule fois (si le financement est très limité).
L’atelier, qui peut durer une journée, quelques jours ou une semaine, se termine généralement par des exhortations, des engagements, et chacun repart dans son établissement d'origine avec les meilleures intentions d'y mettre en œuvre ce qui a été appris (ce qui n’est presque jamais le cas).
Sur un mode plus ambitieux, dans de nombreux projets, l’atelier marque le début de l’approche en « cascade » ou « formation des formateurs » et les participants à l’atelier, désormais « maîtres formateurs » sont chargés ensuite d’enseigner à des enseignants, qui enseigneront à d’autres enseignants, et ce, ad infinitum.
Généralement, le dernier jour de l’atelier, est organisée une évaluation. Le biais méthodologique, la gratitude ressentie pour toute opportunité de formation professionnelle, le manque d’expérience d’autres types de formation professionnelle ou la croyance sincère que l’atelier était une expérience géniale et enrichissante entraînent généralement un taux de satisfaction élevée pour une importante partie des participants, qui le qualifieront d’expérience très positive (un élément à noter puisqu’il est contraire à certaines études sur la satisfaction des enseignants par rapport aux ateliers).
Le bon…
Les ateliers ont de nombreuses qualités, c’est pourquoi ils sont si universels.
- Premièrement, ils sont utiles pour exposer les individus à de nouvelles idées et techniques, et de nouveaux collègues. En réunissant divers groupes de personnes qui ne se rencontreraient normalement pas, les ateliers contribuent à la notion de « force des maillons faibles ». Les maillons faibles sont les mécanismes par lesquels nous apprenons de nouvelles informations. Puisque nous avons tendance à former des « maillons forts » avec nos pairs semblables (les enseignants d’un même établissement), nous savons et partageons souvent les mêmes informations. Les ateliers présentent de nouveaux pairs aux enseignants, avec qui ils seraient peu susceptibles d'interagir. Ils peuvent ainsi apprendre de nouveaux contenus, découvrir de nouvelles perspectives et synthétiser des idées grâce à un collègue de la région X, de l’établissement Y ou du pays Z.
- Deuxièmement, puisqu’ils se font en groupe et accueillent tant d'apprenants, les ateliers sont un bon moyen de créer et de favoriser un esprit du corps et un sentiment de mission à remplir parmi les enseignants d’un programme. Je ne vois pas d’autre format mieux adapté pour « lancer » une intervention de développement professionnel. La structure en atelier peut susciter l’énergie et l’enthousiasme qui peuvent donner l’élan initial à un projet. Les ateliers représentent également des opportunités pour initier des communautés d’apprentissage et de pratiques entre les enseignants qui travailleront ensemble dans le temps.
- Troisièmement, parce qu’ils reproduisent le format traditionnel du particulier-vers-le-groupe comme dans la classe, les ateliers sont une forme familière et reconnaissable de développement professionnel des enseignants qui nécessitent peu d’explication ou de justification auprès des bailleurs de fonds, des directeurs, des principaux ou des agents publics (contrairement aux groupes d’études ou aux classes ouvertes).
- Quatrièmement, les ateliers tentent de promouvoir la standardisation, l’uniformité et l’équité de l’accès à l’apprentissage. Une taille unique ne va pas forcément à tous, mais tous sont pris en compte dans un atelier (même si les ateliers varient selon l’animateur et les participants, ainsi que la dynamique du groupe). Tenter de standardiser le contenu, la langue et de bâtir un système partagé de principes et de valeurs est un élément véritablement précieux pour tout projet, programme ou initiative.
- Enfin, puisqu’il s’agit d’un modèle de formation du particulier-vers-le-groupe, celui-ci peut être déployé à grande échelle. C’est bien entendu le but ultime des projets d’éducation financés par un bailleur de fonds. Aucun autre format de développement professionnel ne nous permet de rassembler dans un atelier 70 enseignants de la 1ère à la 3ème année pour une semaine dans un hôtel de Ouagadougou ou de Guatemala.
Le mauvais…
Les ateliers ont cependant de nombreux défauts.
- Premièrement, ils sont axés sur l’animateur et sont donc susceptibles de montrer un type de développement professionnel plutôt traditionnel et hiérarchique. La conception de l’atelier suggère (quoiqu’involontairement) que l'information est détenue par un animateur omniscient, qui est chargé de transférer cette connaissance aux enseignants « qui en savent moins ». Si l'animateur peut être un expert du sujet dont il vient parler, il ou elle est susceptible de ne pas avoir une grande expérience de l'enseignement en général ou de l’enseignement dans un contexte semblable à celui des enseignants participants. Souvent, avant le début d’un atelier, l’animateur sait peu, voire rien, des enseignants qu’il va former ; la nature du particulier-vers-le-groupe ajoutée aux différences culturelles et linguistiques (dans le cas des ateliers internationaux) rend difficile le fait de faire connaissance avec les enseignants individuels, ce qui renforce encore cette notion de hiérarchie.
- Deuxièmement, les ateliers peuvent, et c’est souvent le cas, promouvoir une forme d’apprentissage très didactique et passive. Ceci est exacerbé par l’approche déductive traditionnelle de l’atelier : l’animateur donne une information (théorie) ; les enseignants en discutent à leur table ou font une mini-activité et exposent ensuite au groupe leurs conclusions sur le concept (confirmation de la théorie). L’animateur passe ensuite au sujet suivant. On répète l’opération.
- Troisièmement, les ateliers font de la formation professionnelle un « événement », plutôt qu’un processus. Ils sont souvent si difficiles et coûteux au niveau de l’organisation logistique qu’ils dévorent le budget de développement professionnel et laisse peu de ressources pour d’autres formes de formation professionnelle, qui pourraient s’avérer plus efficaces. Cette focalisation sur l’atelier comme noyau de la formation professionnelle favorise de façon inconsciente la notion qu'à la fin de l’atelier, tout apprentissage officiel de l’enseignant cesse (jusqu’au prochain atelier).
- Quatrièmement, les ateliers favorisent l’apprentissage in vitro plutôt que in vivo. Ils se déroulent généralement loin des écoles et au sein de l’environnement parfait et fonctionnel de l’hôtel climatisé d’une capitale où tout fonctionne et où le nombre d’élèves est gérable. Nous n'organiserions jamais un grand atelier dans une école à cause des problèmes de connexion Internet, d’espace, d’infrastructure et de fournitures. Justement. Néanmoins, l’atelier (là encore, involontairement) communique l’idée erronée qu'une formation dans un hôtel type bouillon de culture peut être directement reléguée aux écoles en manque de ressources.
- Cinquièmement, d’après mon expérience, les ateliers privilégient certains types d’apprenants par rapport à d’autres. Ils sont super pour des apprenants à l’aise en groupe. Ils sont super pour le petit pourcentage d’enseignants qui innovent et adoptent rapidement de nouvelles méthodes (comme l’approche d’apprentissage précoce de la lecture) en se les appropriant facilement. Toutefois, ils aident peu, ou pas, la majorité des apprenants qui ont besoin d’être exposés à de nouveaux concepts et de les mettre en pratique de façon répétée. Dans de nombreux contextes, les ateliers peuvent privilégier des enseignants ayant un statut supérieur (des enseignants plus âgés, des hommes, des enseignants chevronnés) qui, du fait de la nature « publique » de l’atelier, prennent la parole au nom du groupe ou de l’école, tandis que d’autres collègues n'exposent jamais leur point de vue ou expérience.
Attention à l'écart (de mise en œuvre)
Cependant, le plus gros défaut des ateliers est au cœur de l’atelier-même. Les ateliers constituent un moyen de partager les connaissances. L’hypothèse qui les sous-tend est donc que les connaissances suffisent – que l’information égale la mise en œuvre ; que les connaissances égalent les compétences ; et que si les enseignants obtiennent un savoir sur quelque chose, ils seront automatiquement capables de l’appliquer.
Parce qu’il est souvent séparé au niveau spatial et temporel du lieu de travail de l’enseignant, l’atelier ne fait rien pour aider ce dernier dans l’étape la plus cruciale de sa formation – celle où il retourne dans son établissement pour appliquer ce qu’il a appris. Cette lacune entraîne le haut degré de fuite, de latence, d’échec de la transmission de l’apprentissage et d'application peu fidèle, qui est associé aux ateliers. Les chercheurs du domaine de l’éducation parlent de « déficit de mise en œuvre » - et dans le prochain post, nous examinerons des formes alternatives de développement professionnel pour répondre à ce déficit.