Quels sont les réussites et échecs des tentatives d’inclusion des enfants handicapés et ayant des difficultés d'apprentissage au sein d’écoles ordinaires des pays à revenu faible et intermédiaire ?
C’est de cette question que traite un nouveau Guide thématique sur l’éducation inclusive . Ce guide est conçu comme un outil destiné à aider décideurs politiques, planificateurs de l’éducation, professionnels et militants dans leurs efforts pour que tous les enfants soient inclus et impliqués dans les établissements scolaires du monde entier. Il a été produit par l’équipe Health & Education Advice & Resource Team (HEART)[i] financée par le Département pour le développement international du Royaume-Uni (DFID.)
La gratuité de la scolarité n’est pas toujours la réponse
Depuis 2000, les stratégies visant un accès massif à l’éducation ont fait de l’école une réalité pour des garçons et des filles du monde entier : ceux issus des ménages aux revenus élevés situés dans des centres urbains et ceux ayant la chance de vivre dans des pays où a été instauré un véritable accès équitable à une éducation de qualité. Les engagements internationaux, les politiques gouvernementales, l'implication de la société civile et la croissance économique ont contribué aux progrès, et pourtant, la gratuité de la scolarité n'est pas la panacée de la réussite du taux de scolarisation universel.
Le handicap continue d’être une des causes les plus négligées d'inégalité en matière d’enseignement, même si les filles et garçons handicapés constituent une représentation disproportionnée parmi les exclus de l'école. Quatre enfants handicapés sur cinq vivent dans des pays en développement. C’est en Afrique subsaharienne qu’on rencontre le plus haut niveau de handicap modéré à sévère.
Au Malawi et en Tanzanie, par exemple, le handicap multiplie par deux la probabilité de ne jamais être scolarisé. Au Burkina Faso, il multiplie le risque de non scolarisation des enfants par 2,5 fois. Le handicap contribue également au non achèvement de la scolarité des filles comme des garçons.
La scolarisation inclusive contribue à la croissance économique
La croissance économique, essentielle à un nouveau programme de développement durable, échouera si celui-ci se fait sans la notion d'inclusion et sans l’engagement à traiter des obstacles qui contribuent à perpétuer pauvreté et vulnérabilité.
Si nous voulons que chacun bénéficie de la croissance, il nous faut des politiques qui visent directement la discrimination et le dénuement extrême, qui sont la réalité des groupes marginalisés, dont les enfants handicapés. L’accès à une éducation de base de qualité réduit la pauvreté et améliore la santé et les moyens de subsistance. Il permet également de réaliser son potentiel et de contribuer à des sociétés ouvertes, inclusives et économiquement actives.
Les coûts de l’exclusion sont élevés
Au Bangladesh, par exemple, le revenu manquant dû à l'absence de scolarisation et d'emploi pour les individus handicapés et les personnes qui en prennent soin est estimé à 1,2 milliard $US par an, soit 1,74 % du produit intérieur brut (PIB).[ii]
Plus généralement, une étude récente montre que, dans neuf pays, le coût économique des filles et garçons non scolarisés est supérieur à la valeur d'une année complète de croissance du PIB : c’est le cas au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, en Gambie, au Lesotho, Libéria, Mali, Nigéria, Sénégal et Yémen.
Même pour de grands pays à revenu intermédiaire avec peu d’enfants non scolarisés, comme le Brésil ou l'Indonésie, le coût de la non- scolarisation des enfants est supérieur aux dépenses publiques supplémentaires nécessaires à leur scolarisation, faisant donc de celle-ci un investissement équitable et rentable.
Le manque de données constitue un problème
Le manque de données détaillées et de références au niveau national limite la capacité des gouvernements et des bailleurs, entre autres, à évaluer, effectuer un suivi et traiter les cas d'enfants handicapés.
Bien que les choses soient en pleine évolution avec l'introduction des nouveaux instruments d'enquête, des orientations, des ensembles d’outils et des programmes de renforcement des capacités prévus en 2015 par le Washington Group et l’UNICEF, la volonté politique et l’engagement en matière de recueil et de gestion des données demeurent insuffisants. Ceci a constitué un véritable obstacle à l’action aux niveaux national et international.
Des difficultés systémiques, telles que la répartition des responsabilités entre les Ministères de l'éducation, de la santé et de la protection sociale, entravent également les efforts pour l’éducation des enfants handicapés. Souvent, le soutien se focalise sur le bien-être social et un traitement « spécifique », plutôt que sur les notions d’inclusion et d’équité.
Le handicap : un problème insoluble ?
L’absence, ou l’insuffisance de législation, de stratégies et de cibles empêchent l’inclusion des filles et des garçons handicapés dans le système éducatif. Cet obstacle vient s’ajouter à des difficultés au niveau de l‘établissement, telles que l'accès physique, des programmes et une pédagogie inappropriés, un manque de formation des enseignants et des attitudes discriminatoires de catégorisation qui renforcent la marginalisation.
Les complexités du traitement des besoins spécifiques des enfants handicapés ou ayant des difficultés d’apprentissage ne sont pas nécessairement présentes lors de la conception d’interventions destinées à d'autres groupes marginalisés, tels que ceux qui vivent dans des bidonvilles ou des zones rurales isolées. Ces questions constituent un véritable défi pour les décideurs politiques et semblent faire du handicap un « problème » insoluble du secteur.
Élargir les opportunités d’éducation à tous les enfants, y compris ceux qui souffrent de handicap, nécessite d’aller au-delà de la construction de nouvelles écoles et de l’amélioration des résultats de l’apprentissage. Pour parvenir à l’efficacité, il est nécessaire de concevoir des politiques et d’autres interventions sur l’ensemble du système ciblant directement les garçons et les filles handicapés, ainsi que la cause sous-jacente de leur situation défavorisée, et de les associer à un soutien politique et un leadership.
Il ne s’agit pas de parvenir à une quelconque uniformité, les pays étant confronté à leurs propres contraintes, défis et opportunités. L’action garantissant l’inclusion des apprenants handicapés fonctionne le mieux lorsqu’elle est adaptée aux circonstances locales et individuelles.
Le nouveau Guide thématique sur l’éducation inclusive
Le nouveau Guide thématique sur l’éducation inclusive s’appuie sur un renouvellement de l’accent mis sur l’apprentissage et traite des préoccupations croissantes concernant les 250 millions d’enfants qui n'ont pas pu apprendre malgré quatre années de scolarisation. Ce guide souligne l’importance de stratégies mondiales qui placent en priorité les divers besoins d’apprentissage des enfants les plus marginalisés.
Le Guide thématique est disponible en ligne et sous forme de PDF sur le site Web de HEART. L’hashtag #IncEd4dev permet de participer à la discussion. Tweetez sur @HEART_RES pour nous donner votre avis sur le Guide thématique.
Nous y discutons de concepts clés sur le thème de l’inclusion et de l’éducation inclusive, de la terminologie liée au handicap et des difficultés en matière de collecte de données appropriées. Nous traitons également des dilemmes liés à l'apport d'un soutien spécialisé aux filles et garçons handicapés, tout en faisant la promotion d'une inclusion générique.
Le corpus de données probantes sur l’éducation inclusive dans les pays à revenu faible et intermédiaire, bien que lacunaire et fragmenté, est présenté avec un accent spécifique sur la pratique en classe, l'éducation des enseignants, la direction des établissements et l’engagement communautaire. Nous explorons enfin la relation entre l’éducation inclusive et, plus largement, le développement, en suggérant un programme d’orientation pour de futures recherches.
Juliette Myers est une consultante indépendante, co-auteur du Guide thématique sur l’éducation inclusive. Vous pouvez la suivre sur Twitter@JLMConsulting
[i] La Health & Education Advice & Resource Team (HEART) propose des services d’assistance technique et de connaissance au Département pour le développement international du Royaume-Uni (DFID) et ses partenaires en soutien aux programmes de lutte contre la pauvreté en matière d’éducation, de santé et de nutrition. Les services de HEART sont fournis par un consortium d’organisations de premier plan international en développement, santé et éducation: Oxford Policy Management, CfBT, FHI360, HERA, l’Institute of Development Studies, IMMPACT, la Liverpool School of Tropical Medicine et le Nuffield Centre for International Health and Development de l’Université de Leeds.
[ii] Banque mondiale (2008). Project Appraisal Document on a Proposed Credit to the People’s Republic of Bangladesh for a Disability and Children-at-risk Project. Washington, DC : Banque mondiale, p.14. http://www.worldbank.org/external/default/WDSContentServer/WDSP/IB/2008/06/16/000333037_20080616025100/Rendered/PDF/417950PAD0P1061ly100IDAR20081021911.pdf
[iii] Thomas, M. et Burnett, N. (2013). Exclusion from Education: The Economic Cost of Out of School Children in 20 Countries. Washington, DC : Results for Development and Educate a Child. http://r4d.org/sites/resultsfordevelopment.org/files/resources/Exclusion-from-Education-Final-Report.pdf