La région du Moyen-Orient, ma préférée, pas seulement parce que j’y suis née et que j’y ai grandi, mais aussi parce que j'y ai lutté et y ai gagné en maturité, est désormais caractérisée en des termes très défavorables.
En tant que personne issue de la région, il est difficile de nier que les acteurs de cette zone sont à la fois les protagonistes et les victimes de conflits et crises prolongés. Ceci a ainsi entraîné une crise humanitaire sans précédent dans la région, créant non seulement des famines, des déplacements massifs et des pertes en vies mais, démolissant également des années de développement infrastructurel et des organes et processus démocratiques naissants.
Trop d’enfants sont exclus de l’école
Je crois que dans ces crises, c’est l’éducation qui a payé le prix fort. Ceci ne signifie pas que d’autres secteurs ne sont pas touchés, mais plutôt que l’éducation est particulièrement ignorée.
Dans la région, il y a 56,6 millions[1] de personnes dans le besoin ; l’éducation risque clairement de dégringoler de l’échelle des priorités de l'aide.
La violence a rendu 8 500 écoles inutilisables – et l’on pense qu’il s’agit là d’une sous-estimation.
Dans de nombreux cas, les bâtiments scolaires ont été transformés en abris pour les personnes déplacées, comme en Irak et au Yémen, ou sont occupés par des groupes militaires ou milices, comme au Yémen.
On estime à près de 15 millions les enfants exclus des systèmes éducatifs dans l’ensemble de la région (les pays concernés sont Djibouti, le Yémen, le Soudan, l’Irak, la Palestine, l’Égypte, l’Iran, Oman, le Bahreïn, l’Algérie, le Maroc, le Liban, la Syrie, la Tunisie, l’Arabie Saoudite, les EAU, le Qatar, la Jordanie et le Kuwait) ; 4,5 millions de ces enfants viennent de Syrie, d’Irak et du Yémen. Ces chiffres sont probablement également sous-estimés, en particulier puisqu’aucune donnée n’est disponible pour la Syrie.
La pauvreté, le conflit, la discrimination sexiste, le manque d'une éducation de qualité, l’environnement scolaire déplorable (notamment la violence à l’école) et le nombre incalculable d’abandons scolaires ont entraîné la non scolarisation de bon nombre d’enfants. Si les graves urgences qui se prolongent en Irak, en Syrie (et dans les pays accueillant des réfugiés syriens), ainsi qu’au Yémen sont bien connues, des conflits se poursuivent dans d’autres pays de la région, notamment en Libye, en Palestine et au Soudan.
L’inlassable travail des coalitions de l’éducation
Les coalitions de l’éducation nationales et régionales composées d’organisations de la société civile qui se consacrent au secteur sont à pied d'œuvre dans les situations les plus difficiles. Non seulement elles doivent faire face à la diminution des ressources allouées à l'éducation et à l’effondrement des systèmes éducatifs, mais elles luttent également pour conserver leur voix et formuler leurs exigences dans un espace de liberté de plus en plus réduit, sans même parler de la participation civile.
Dans des pays tels que le Yémen et la Somalie, les organisations de la société civile utilisent leurs ressources humaines et financières limitées pour maintenir d'actualité le débat sur le financement de l'éducation.
La portée et la nature de l’aide changeant dans les situations d'urgence, les coalitions doivent plaider contre la réorientation de l'aide pour l'éducation vers des secteurs tels que la sécurité, et veiller à ce que les autres besoins soient satisfaits sans que cela ne soit aux dépens de l’éducation.
Malgré la forte rotation du personnel et les contraintes de leur propre budget opérationnel, les membres des coalitions continuent d’être présents dans les groupes locaux des partenaires de l'éducation et les clusters éducation. Ils n'ont pas nécessairement le pouvoir de négocier ou de former des plans d’intervention humanitaire mais, ils continuent d’agir pour résister contre la notion prônée de facto par les États, et des États en plein effondrement, selon laquelle, en situation d’urgence, l’éducation est un luxe.
Les coalitions de l’éducation se réunissent pour veiller à ce que l'éducation ait les ressources adéquates
Sous l’égide de la Campagne mondiale pour l’éducation, des coalitions du Soudan, de la Somalie, du Yémen et de la Palestine se sont réunies début 2017 pour préparer une campagne régionale sur la responsabilité relative face à l'ODD 4. Lors de ces réunions, les coalitions ont eu des discussions animées, afin de développer les différents aspects des campagnes de reconstitution des ressources qui seront mises en œuvre au niveau national.
Les activités planifiées comprennent notamment des efforts pour ouvrir le dialogue avec les gouvernements sur les budgets de l'éducation et négocier pour une plus grande part, ainsi que pourcentage du PIB, dédiés à l’éducation. Les coalitions ont également convenu qu’un travail collectif devait être entrepris pour rendre les budgets de l’éducation plus transparents, en se focalisant sur le rôle des coalitions dans la supervision de ces budgets.
Cette année, au cours de la Semaine mondiale d’action pour l’éducation de la CME, la campagne de reconstitution des ressources a été lancée lors de deux événements majeurs à Amman, en Jordanie et Ramallah, en Palestine. Le thème des deux événements était la responsabilité relative à l’ODD 4. Les événements ont rassemblé tous les acteurs de l'éducation pour discuter de la façon dont les budgets dédiés à l'éducation pouvaient être augmentés afin de résoudre les énormes difficultés rencontrées par la région.
Ces événements ont également souligné les opportunités actuelles d’engagement de la société civile afin d’influer sur les décisions en matière de finances. Par exemple, à Amman, les représentants du Ministère de la Planification ont discuté de la Revue nationale volontaire de la Jordanie en matière d’ODD, et un débat s'est tenu sur le rôle de la société civile dans la supervision des dépenses publiques visant la réalisation de l'ODD 4.
Parallèlement, plusieurs réunions se sont tenues avec des décideurs politiques afin de discuter de la part de l’éducation dans les budgets nationaux de plusieurs pays. Au Yémen, au Soudan, en Somalie et en Palestine, les coalitions ont organisé des réunions directement avec les Ministères de l’Éducation, les parlementaires et des représentants des Nations unies.
L’optimisme est de mise malgré les énormes difficultés
Le personnel des médias a été formé sur la responsabilité relative à l’ODD 4 et la façon dont la participation citoyenne pourrait être accrue grâce aux médias et entraîner une mobilisation publique par les réseaux sociaux. Par ailleurs, plus de 100 ONG se sont réunies à Saida, au Liban, lors d’un événement public visant à mettre la pression sur les législateurs locaux afin de régler les problèmes relatifs au budget de l'éducation.
Au Yémen, une pétition signée par plus de 22 000 Yéménites a été remise au bureau du BCAH des Nations unies. Elle demandait à ce que les parties prenantes de l'aide internationale traitent du problème du financement de l'éducation et augmentent la part de l'éducation dans l'aide humanitaire.
Toutes ces activités sont autant de signes positifs d'un élan régional qui perdure, malgré des contextes nationaux difficiles, dans son soutien à la reconstitution des ressources destinées à l'éducation.
Elles marquent également les premiers pas vers un solide mouvement de la société civile en faveur de l’éducation dans une région confrontée à de grandes difficultés, mais qui conserve de l’espoir pour ses générations futures.
[1] Ce chiffre représente le nombre total agrégé des personnes dans le besoin, tel que l’indique les appels de l’Humanitarian Action for Children 2017 pour Djibouti, l’Égypte, l’Irak, la Jordanie, le Liban, la Libye, la Palestine, le Soudan, la République arabe syrienne, la Turquie et le Yémen. UNICEF 2017