Cette tribune d'Alice Albright, Directrice générale du PME, a d'abord été publiée sur le site du Financial Times (en anglais).
Forcés de fuir leurs maisons, sans pouvoir rien emporter avec eux d’autres que les vêtements sur leur dos. Passer des nuits dans des buissons, tremblant de froid et de peur d'être découvert. Marcher sur des routes poussiéreuses des jours durant, jusqu'à ce que leurs chaussures s'usent et que leurs pieds saignent. Perdre leurs parents, frères et sœurs suite aux horreurs de la guerre.
Durant des visites dans un certain nombre de camps de réfugiés à travers le monde, j’ai écouté tellement d’histoires poignantes comme celles d’enfants qui ont été forcés de quitter leur domicile en temps de crise. Personne - et encore moins un enfant - ne devrait avoir à vivre un tel traumatisme. Mais, même au milieu de ce chaos, il y a quelque chose qui peut donner à ces enfants une stabilité immédiate et un espoir sur le long terme : la possibilité d'aller à l'école, d'apprendre et de développer des compétences pour l'avenir.
Pourtant, plus de la moitié des enfants réfugiés dans le monde se voient encore refuser ce droit essentiel. Près de 4 millions d'enfants réfugiés et 17 millions d'enfants déplacés internes en âge scolaire à travers le monde passent à côté de cette opportunité d'une éducation de qualité. Les enfants réfugiés sont cinq fois plus susceptibles que les autres de ne pas aller à l'école - les filles sont beaucoup plus touchées -, et plus ils grandissent, moins ils sont susceptibles de retourner à l'école.
Nous ne pouvons pas nous permettre d'ignorer cette crise. Alors que le nombre de personnes contraintes de fuir leur domicile en raison de violences ou de persécutions atteint des niveaux record chaque année, le risque que des millions d'enfants déplacés deviennent une génération perdue augmente également. Si cela finit par se produire, les troubles sociaux et l'instabilité augmenteront probablement. De plus, le monde sera privé des percées technologiques et scientifiques dont ils auraient pu être à l’origine, de leurs contributions aux économies locales et mondiales, du confort et des soins qu'ils auraient pu nous apporter en tant que parents, prestataires de soins de santé, premiers secours et bien plus encore.
Il n'y a plus de temps à perdre. Plus des trois quarts de tous les réfugiés (près de 16 millions) sont en exil soi-disant temporaire depuis cinq ans ou plus, et près de 6 millions ont été déplacés depuis 20 ans. Cela équivaudrait à la durée de toute une enfance, période au cours de laquelle notre apprentissage est à son point optimal.
Il est donc exaspérant et inacceptable que les ressources pour éduquer les enfants réfugiés ne soient presque jamais suffisantes. Pendant de nombreuses années, moins de 3 % des fonds humanitaires destinés aux réfugiés ont été alloués à l'éducation, beaucoup moins que le financement d'autres services vitaux. C’est la formule pour un échec continu.
L'impératif d'éduquer les enfants réfugiés a été particulièrement évident pour moi lorsque j'ai récemment visité Cox's Bazar, la ville portuaire du sud-est du Bangladesh où environ 1 million de Rohingyas se sont installés depuis qu'ils ont été forcés de fuir leurs foyers au Myanmar en 2017. La moitié d’entre eux a moins de 18 ans.
Le gouvernement du Bangladesh, la communauté internationale (le Partenariat mondial pour l'éducation, que je dirige, inclus) et les partenaires locaux se sont mobilisés rapidement ces deux dernières années pour offrir aux enfants rohingyas des possibilités d'apprentissage. Aujourd'hui, plus de 3 000 centres d'apprentissage fonctionnent dans les 34 camps de Cox’s Bazar. Cependant, 25 000 enfants ne suivent toujours aucun programme d'apprentissage, selon l'UNICEF, et 97 % des jeunes Rohingyas âgés de 15 à 18 ans ne fréquentent aucun type d'établissement éducatif - ce qui reflète les tendances mondiales.
Un autre défi réside dans le fait que plus de 92 % de tous les réfugiés en âge scolaire à travers le monde sont accueillis dans des pays en développement, ce qui y met à rude épreuve des ressources déjà rares allouées à l'éducation. Lors d’une visite dans une école primaire pour enfants bangladais près de Cox’s Bazar, j’ai été choquée d’apprendre qu’il n’y avait que 5 enseignants pour un effectif de 490 élèves.
C’est pourquoi nous devons soutenir des approches alternatives telles que celles mises en œuvre au Tchad, qui accueille plus de 450 000 réfugiés. Dans la région du lac-Tchad où vivent de nombreux réfugiés, 62 % des enfants ne sont pas scolarisés. Grâce au soutien du PME et d'autres partenaires internationaux, le Tchad n'intègre pas seulement les enfants réfugiés dans le système scolaire public. Le pays travaille également à créer un système éducatif plus solide et plus durable pour tous les enfants – à travers la construction de plus d'écoles, la fourniture de repas scolaires et la mise en place de programmes de nutrition, tout en essayant d'augmenter l'offre en termes d'enseignants qualifiés.
Pour ces raisons et bien d'autres, je me joins aux militants cette semaine dans le cadre du tout premier Forum mondial sur les réfugiés qui se tient à Genève, pour exhorter les dirigeants du monde à accélérer davantage de financement pour offrir une éducation de qualité aux enfants réfugiés et accroître le soutien aux pays et aux communautés qui les accueillent. Le monde doit empêcher les enfants d’aujourd’hui de devenir la génération perdue de demain en intensifiant considérablement son engagement à éduquer le nombre toujours croissant d’enfants réfugiés – et partant, tous les enfants les plus pauvres du monde. Nous devons travailler ensemble pour fournir des solutions qui sauvent des vies dans l'immédiat et soutiennent la vie des générations à venir.