Réaliser le droit à l'éducation en pleine pandémie de COVID-19

La pandémie de COVID-19 a mis en lumière les nombreuses disparités qui existent entre les enfants à travers le monde. Si gérer la continuité de l'apprentissage a été difficile pour de nombreux pays, que font les pays africains pour défendre le droit à l'éducation pendant cette période de crise ?

27 octobre 2020 par Anita Nyanjong, Advocacy CSO Forum to the Africa Union Committee on the Rights and Welfare of the Child, et Linda Oduor- Noah, The East African Center for Human Rights
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Pumla Dlamini est élève en CM2 à l'école primaire Usutu Forest dans la région de Hhohho à Eswatini. Elle suit désormais ses cours de manière virtuelle via la plateforme Google Classroom. Crédit: Kingsley Gwebu / Unicef / Mai 2020
Pumla Dlamini est élève en CM2 à l'école primaire Usutu Forest dans la région de Hhohho à Eswatini. Elle suit désormais ses cours de manière virtuelle via la plateforme Google Classroom.
Credit: Kingsley Gwebu / Unicef / Mai 2020

La pandémie de COVID-19 a mis en évidence les nombreuses disparités qui existent entre les enfants à travers le monde. Des disparités qui sont plus prononcées en Afrique où des millions de personnes jouissent très peu ou pas du tout de leurs droits socio-économiques de base.

Le premier cas de COVID-19 en Afrique a été signalé en Égypte en février 2020. Alors que le fléau se propageait à travers le continent, les gouvernements ont fait fermer les écoles et renvoyé les enfants chez eux. Le Kenya, l'Ouganda, l'Éthiopie, la Somalie et le Rwanda ont rapidement élaboré des stratégies de riposte rapide à la COVID-19 afin d’assurer la continuité de l'apprentissage de leurs élèves.

Les enseignants ont dû s'adapter à l'enseignement via les SMS et les médias sociaux, notamment via YouTube et WhatsApp. En Éthiopie, par exemple, le gouvernement s'est associé à une chaîne de télévision locale, AfriHealth, pour diffuser des programmes éducatifs destinés aux enfants de tout le pays. Les gouvernements du Rwanda et du Kenya ont adopté l'utilisation de programmes radiophoniques traitant de sujets abordés dans les programmes scolaires à l’intention des enfants.

Défendre le droit à l'éducation pendant la crise de la COVID-19

Cependant, la gestion de la continuité de l'apprentissage a été difficile : à l'exception de la Tanzanie, les écoles de la région restent fermées et la transition vers les plates-formes numériques a été semée d'embûches. Les écoles publiques font face à un manque d'infrastructure et une compréhension limitée de la pédagogie en ligne.

De même, les ménages ont un accès limité à l'électricité, à Internet ou même à des outils telles que des postes de télévision et de radios, comme cela a été constaté en Éthiopie, où la majorité de la population vit dans des zones rurales. Selon une étude menée dans 10 pays africains, moins de 15 % des chefs d'établissement restaient en contact avec au moins 80 % de leurs élèves.

Dans de telles conditions, les enfants n'apprennent pas de manière optimale ou cohérente. Ceux qui s’en sortent le mieux sont ceux qui ont des compétences en informatique et ont la chance d’avoir accès à des outils numériques (comme on a pu le voir en Éthiopie) ; les élèves d’âge avancé et ceux des écoles privées (au Kenya, 24,6 % des ménages abritaient des enfants qui ne pouvaient pas continuer à apprendre).

Les fermetures d'écoles ont été accompagnées d'une augmentation des cas de grossesses chez les adolescentes, des cas de mutilations génitales féminines, de mariages précoces, de maltraitance et de travail des enfants à travers le continent. De même, la Coalition pour l’union des forces (Joining Forces Coalition) a noté la hausse de la vulnérabilité des enfants en Ouganda et de nouvelles observations ont été faites sur les populations vulnérables, telles que les 30 000 enfants de la rue que compte le pays, de plus en plus marginalisées pendant cette période.

A côté de cela, les acteurs non-étatiques dont les établissements scolaires accueillent la majorité des enfants dans les localités où l’essentiel des ménages a un revenu faible, s’est également contracté avec la fermeture définitive de nombreuses écoles.

Les réponses des États à ces défis émergents ont été variées. Au Kenya par exemple, le gouvernement a réagi en lançant un programme d'apprentissage communautaire (en anglais). Mais, même cela s’est heurté à des obstacles, son déploiement ayant été bloqué par une décision de justice qui en a interrompu la mise en œuvre.

Du financement de l'éducation

Déjà avant la crise actuelle, l'offre en matière d'éducation dans de nombreux pays d'Afrique subsaharienne était confrontée à divers défis et l’on recensait déjà plus de 30 millions d'enfants non scolarisés à l’époque. L'éducation est donc devenue une priorité. Au Kenya, par exemple, le secteur a reçu l'allocation budgétaire sectorielle la plus élevée, avec un montant représentant environ 5,2 % du PIB du pays en 2018/2019.

La plupart des autres pays d'Afrique de l'Est n'ont cependant pas tout à fait été au même niveau, l'Ouganda allouant 2,52 % de son PIB et, la Tanzanie et le Rwanda allouant respectivement 3,9 % et 3,1 % en 2018, entre autres.

Malgré les investissements élevés et les progrès accomplis, la plupart des pays d'Afrique de l'Est sont encore loin d'atteindre l'ODD 4. Par conséquent, les organes de défense des droits humains demandent constamment des augmentations substantielles de la part allouée à l’éducation dans les budgets nationaux d’une part, et que la priorité soit accordée au financement à ce secteur, notamment à l’éducation des enfants les plus marginalisés, d’autre part. Cela a été observé en Tanzanie et au Rwanda par les examens des Comités en charge des droits de l'enfant ; et au Kenya par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CESCR) des Nations unies.

En outre, les pays de la région continuent de perdre des ressources substantielles du fait de la corruption, du service de la dette et des incitations fiscales qui auraient plutôt pu être utilisées pour améliorer l'accès et la qualité de l'éducation de milliers d'enfants.

En réponse, les organisations de la société civile africaine (OSC) - dirigées par le Forum des OSC - qui incluent le réseau des droits de l'enfant en Afrique de l'Est et le Réseau des droits de l'enfant en Afrique australe, ont présenté une déclaration aux envoyés spéciaux nommés par l'Union africaine en juin 2020, dans le but de mobiliser un soutien économique au niveau international pour la lutte contre la COVID-19 en négociant la dette au nom de l'Afrique. Le Forum des OSC a en outre appelé les gouvernements africains à mettre en place des mesures pour garantir que les enfants continuent d'accéder à l'éducation dans le contexte de la COVID-19.

Réimaginer l'enseignement public

Les prévisions actuelles indiquent que les pays à revenu faible ou intermédiaire sont susceptibles de geler ou de réduire les dépenses d'éducation en raison de la crise sanitaire mondiale actuelle. L'UNESCO va jusqu'à estimer qu’à l’échelle mondiale, en raison de la récession imminente, les coupes qui seront faites dans les budgets nationaux alloués à l’éducation atteindront un montant total d'environ 210 milliards de dollars (en anglais).

Cependant, selon le Rapporteur spécial des Nations Unies sur l'éducation (en anglais), le droit à l'éducation doit être garanti même en cas de crise, comme le soutiennent nos plans continentaux sur le droit à l'éducation tels que l'article 17 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et l'article 11 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant. La pandémie actuelle ne doit en aucun cas servir de vecteur de régression à cet égard comme le soulignent les Principes d'Abidjan (en anglais) N°43 à 46.

Pour défendre le droit à l'éducation et atténuer les effets des pertes en termes d'apprentissage, les gouvernements devront faire des efforts pour mobiliser des fonds et d'autres ressources en faveur de l'éducation, en dépit des autres besoins. Faire moins reviendrait à courir au désastre.

Reconstruire en mieux nécessitera notre imagination et notre dévouement à appeler à la mise à disposition de budgets pouvant permettre de bâtir des systèmes éducatifs résilients qui portent haut l'ambition énoncée dans l'Agenda 2063 de l'Union africaine.

Les gouvernements peuvent être tentés d'investir principalement dans diverses technologies pour améliorer la qualité de l'éducation, comme cela a été le cas au Rwanda. Cependant, les États devraient donner la priorité à certains des aspects essentiels en termes de qualité : les systèmes éducatifs, tout comme leur personnel, devront être adaptés pour répondre aux besoins de l'élève qui retournera à l'école, que ce soit l'enfant qui a reçu des cours particuliers ou l'adolescent.e devenu.e mère ou père, l’enfant sauvée d’un mariage précoce, ou le premier-né maintenant obligé de partager les responsabilités parentales.

La résilience nécessitera également d'investir dans les actifs communautaires pour promouvoir le programme d'éducation. Des améliorations devront également être faites en termes de collaboration intersectorielle, afin de mieux démontrer comment l'amélioration des résultats de l'éducation conduit à l'amélioration de la santé et des moyens de subsistance.

Enfin, la résilience exigera des investissements dans la transparence, la participation du public et la responsabilité, en veillant à ce que les budgets et les plans de l'éducation donnent la priorité aux enfants vulnérables. Ces recommandations et d'autres sont décrites plus en détail dans cet appel à l'action (en anglais) signé par 190 organisations.

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J´ai trouvé très interessante l´abordage qui a été faite. C´est la réalité que nous avons vécue au Brésil avec les doutes sur l´organisation de l´examen intitulé "ENEM" parce que plusieurs élèves de la périphérie n´ont pas accès à l´internet ou encore dans les zones rurales. Comment peut-on organiser un examen à l´échelle nationale en sachant que ceux des familles pauvres n´auront pas les mêmes chances que leurs collegues des familles aisées et qui ont étudié dans les meilleurs collèges avec droit à l´internet.

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