Pourquoi la mise à l’échelle des mesures efficaces ne fonctionne généralement pas pour les programmes d'alphabétisation de base

Les données sur les programmes d'apprentissage de base qui obtiennent les meilleurs résultats ne donnent pas une image complète qui explique leur succès. Leur observation sous le prisme des sciences comportementales met en lumière ce qui fait la différence.

02 août 2023 par Simon King, School-to-School International, et Amber Gove, RTI International
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Lecture : 4 minutes
Des élèves de la classe 10 à l'école Shree Krishna Ratna à Chautara, dans le district de Sindhupalchowk au Népal. Juin 2019. Juin 2019
Des élèves de la classe 10 à l'école Shree Krishna Ratna à Chautara, dans le district de Sindhupalchowk au Népal. Juin 2019.
Credit: GPE / Kelley Lynch

D’après Daniel Kahneman, lauréat du prix Nobel, la nature humaine nous pousse à nous améliorer « en déployant un peu plus d’efforts ». Pour les programmes destinés à améliorer l'alphabétisation de base, cela peut se traduire par une augmentation du nombre de formations dispensées aux enseignants, une refonte des manuels scolaires ou la mise en application de nouveaux types d'évaluation.

Cependant, nous constatons souvent que l'ajout de nouvelles composantes dans les programmes d’enseignement n’entraîne pas toujours une nette amélioration des résultats d'apprentissage.

Qu’est-ce qui explique cela ? Si l'on se réfère aux sciences comportementales pour comprendre l’enjeu, on obtient des résultats que la recherche et l'évaluation traditionnelles ne permettent pas d'obtenir.

Comme nous l'avons souligné dans cet article, il est d'autant plus important d’identifier la meilleure manière d’améliorer les résultats d'apprentissage dans ce contexte marqué par les nombreuses pertes d'apprentissage dues aux fermetures d'écoles liées à la COVID-19.

Si nous prenons une évaluation d'impact traditionnelle, celle-ci présente un impact généralisé entre deux instants. Nous observons l'impact moyen d'une intervention en matière d’éducation sur les résultats d'apprentissage des élèves, en comparant les progrès accomplis dans les écoles participant au programme à ceux des écoles n’y participant pas.

Nous recueillons généralement des informations supplémentaires pour expliquer pourquoi il y a un impact (ou pas). Cependant, une simple technique de réorganisation de ces données nous incite à poser des questions très différentes.

Un exemple au Népal

Si nous considérons le résultat d'apprentissage moyen entre deux intervalles distincts pour chaque école participant au programme et que nous classons ces écoles par ordre décroissant, de celle qui a eu le plus d'impact sur les résultats d'apprentissage à celle qui en a eu le moins, nous constatons des résultats très différents d'une école à l'autre.

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La figure ci-dessus montre l'impact sur les résultats d'apprentissage par école pour le programme d’apprentissage de la lecture dans les petites classes soutenu par USAID au Népal entre 2016 et 2018. L'école ayant enregistré l’impact le plus important sur les résultats d'apprentissage a vu sa vitesse moyenne de lecture augmenter de 32 mots par minute, tandis que dans l'école la moins performante, les scores ont diminué de 13 mots par minute.

Le programme népalais a eu un impact considérable sur les résultats d'apprentissage en 2018, en enregistrant une hausse de la vitesse moyenne de lecture de 8,3 mots par minute pour un élève de troisième année dans une école participant au programme, alors que les élèves issus des écoles ne participant pas au programme ont subi une baisse de 2,4 mots par minute. Cependant, le graphique ci-dessus montre que seulement 15 % des écoles ont contribué à 80 % de cet impact généralisé.

Si nous pouvons reproduire la réussite de ces écoles, pouvons-nous accroître l'impact global du programme sur les résultats d'apprentissage ?

Résultats obtenus en appliquant la perspective des sciences comportementales

En appliquant le cadre des sciences comportementales, le programme népalais a étudié les caractéristiques qui distinguaient les écoles les plus performantes. Il a été constaté que ces écoles comprenaient des individus tels que des enseignants, des directeurs d'école et des leaders communautaires qui font la différence.

Ces individus présentaient des traits de personnalité s’inspirant du concept des « premiers adeptes » (early implementors, en anglais) de Rogers' à savoir : rationalité, empathie, bonne communication et tolérance à l'égard de l'incertitude.

Ceci explique pourquoi la mise à l'échelle des mesures efficaces ne fonctionne généralement pas. Il est pratiquement impossible de transposer des traits de personnalité à des individus d'autres écoles.

S’il est donc difficile de reproduire un succès, quelles sont les autres solutions ?

Daniel Kahneman affirme que nous suscitons un changement de comportement positif en diminuant les forces restrictives, c'est-à-dire en supprimant les obstacles qui empêchent les individus d’effectuer ce qu'on leur demande. Pour mettre à l’échelle un programme d'alphabétisation de base, il convient d’examiner les domaines dans lesquels le programme n'a eu que peu ou aucun impact, et d’identifier les obstacles qui empêchent de réaliser un changement positif.

Notre réaction immédiate pourrait être d'identifier les problèmes liés aux salles de classes aux effectifs pléthoriques, à l'expérience des enseignants, aux caractéristiques des élèves ou à d’autres facteurs qu'il n'est généralement pas possible de modifier dans le cadre d'un programme. Bien que ces problèmes soient sérieux et qu’ils doivent être résolus, nous savons également que certaines écoles participant à notre programme ont réussi dans des circonstances analogues.

Pour améliorer réellement les résultats d'apprentissage de tous les élèves, nous devons comprendre la façon dont les êtres humains font face au changement et appliquer ces connaissances aux programmes d'éducation. Il n'existe pas de modèle utile et pratique pour déterminer la façon dont les enseignants s’adaptent au changement.

La réaction des êtres humains face au changement varie en fonction des traits de personnalité de l’individu et des facteurs environnementaux. Nous nous tournons également vers nos homologues et les personnes qui nous influencent pour observer comment ils s'adaptent au changement.

La plupart des changements dans le domaine de l'éducation sont généralement imposés. Lorsque quelque chose est imposé, nous adoptons souvent des comportements différents. Nous pouvons soit accepter le changement, soit nous y opposer, soit trouver un moyen de l'adapter à notre convenance, en déployant juste un peu plus d'efforts qu’avant que le changement ne soit imposé.

Des recherches ont révélé que la réticence des enseignants à mettre en œuvre ces programmes n'est généralement pas le problème. En revanche, de nombreux enseignants ont souvent tendance à adapter les programmes de manières différentes et généralement inefficaces, afin de rendre le nouveau programme et les nouvelles approches pédagogiques plus accessibles et de réduire le niveau d'effort mental nécessaire pour les mettre en œuvre.

Il s'agit là de comportements prévisibles dont nous devrions tenir compte lors de l’élaboration des programmes pédagogiques, dès lors que nous cherchons à aider les systèmes éducatifs à se remettre des pertes d'apprentissage causées par la pandémie de COVID-19.

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