Placer l’éducation au cœur de l’économie

Quatre recommandations pour plaider en faveur du financement de l’éducation, essentiel à la fois pour autonomiser les individus et pour soutenir le développement économique.

25 septembre 2023 par Mariana Mazzucato, University College London
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Des élèves de l’école primaire public d'Azimpur à Dhaka au Bangladesh. Crédit : GPE/Chantal Rigaud
Des élèves de l’école primaire public d'Azimpur à Dhaka au Bangladesh.
Credit: GPE/Chantal Rigaud

Alors que le monde est confronté à des défis sans précédent tels que le changement climatique, l'évolution des technologies et les tensions géopolitiques, il s’avère de plus en plus nécessaire de bâtir des économies résilientes capables de résister aux chocs et de favoriser une croissance inclusive et durable.

L’éducation constitue la pierre angulaire d’un développement durable et inclusif grâce à son pouvoir de transformation, en particulier lorsqu’elle est reconnue comme un droit humain non négociable.

L'éducation publique est un puissant facteur de changement porteur de transformation et il s’agit de notre atout le plus précieux.

De ce fait, il est essentiel de transcender la notion traditionnelle de l'éducation comme étant une préoccupation secondaire et, au contraire, de placer l'éducation universelle au cœur même de la manière dont nous concevons nos économies.

Quatre étapes pour susciter une véritable transformation économique

Premièrement, nous devons changer le discours fallacieux sur la dichotomie entre l'État novateur et l'État-providence, entre l'activité économique dynamique, entrepreneuriale et ambitieuse d’un côté et les services sociaux, les soins et la politique de l'éducation de l’autre. Par exemple, en garantissant l'accès de chaque individu aux informations et aux données, non seulement nous défendons le droit humain fondamental à l'éducation continue, mais nous encourageons également la curiosité et conférons aux citoyens les moyens d'innover.

Conscient de la corrélation qui existe entre l'innovation et le bien-être, le gouvernement américain a subordonné le financement public au CHIPS and Science Act, à la condition que les entreprises bénéficiaires mettent à la disposition de leurs employés des services de garde d'enfants - associant ainsi les problèmes de sécurité nationale liés à la fabrication de semiconducteurs avec la responsabilité de garantir le bon développement de la prochaine génération de citoyens.

Deuxièmement, nous avons besoin d'une approche intersectorielle et pangouvernementale pour placer l'éducation au centre de la manière dont nous gouvernons notre économie.

La pandémie a montré que l'éducation nécessite l'implication et la bonne collaboration d'acteurs issus de différents secteurs. Le passage à l'enseignement en ligne, par exemple, n'a pas seulement été un défi sur le plan éducatif. Il a également dévoilé le réseau complexe d'interdépendances entre les différents secteurs : du numérique à la santé publique, en passant par l'énergie et le logement.

Comme je le fais valoir dans mon ouvrage intitulé Mission Économie, définir une mission, telle que donner à chaque jeune scolarisé l'accès à un ordinateur et à internet, peut permettre d’élaborer des politiques à la fois intersectorielles et interministérielles.

Troisièmement, nous devons reconnaître que le financement en faveur de l'éducation n’est pas un compromis avec les autres priorités politiques, mais un facteur essentiel pour stimuler une économie dynamique, vu l'importance de l'effet multiplicateur des dépenses consacrées à l’éducation.

La plupart des estimations montrent qu'entre 2 et 5 dollars sont générés en dépenses supplémentaires pour chaque dollar de dépenses publiques initiales allouées à l’éducation.

Il existe néanmoins un déficit de financement considérable, qui s’élève actuellement à 97 milliards de dollars par an, pour que les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire de la tranche inférieure puissent atteindre leurs objectifs en matière d'éducation.

Si des restrictions budgétaires sont effectuées dans des domaines essentiels qui créent des économies résilientes, tels que l'éducation ou la santé, l'économie ne pourra pas se développer.

Quatrièmement, nous devons accorder la priorité au financement en faveur de l'enseignement public sur le long terme. Pour ce faire, la qualité du financement joue un rôle primordial.

Nous avons besoin d'un financement orienté vers des objectifs ambitieux et conçu de manière à pouvoir atteindre ces derniers. Par exemple, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme a été en mesure d’accomplir des progrès considérables dans les traitements en définissant des missions visant à réduire le nombre de décès à zéro.

Il convient d’améliorer la gouvernance, la conception et la mise en œuvre des financements publics, privés et des bailleurs de fonds, afin de les aligner sur l'objectif de l'éducation universelle.

La Suède offre un exemple éloquent de la manière dont la politique éducative peut devenir un véritable facteur de transformation économique inclusive et durable, en associant l'État innovant à l'État providence.

Le gouvernement suédois s'est imposé la lourde tâche de mettre en place un État-providence décarboné, et l'un de ses moyens d’action consiste à garantir l'accès à des repas scolaires bons, sains et durables. Cela a eu de profondes répercussions sur les procédures du système telles que la politique d'approvisionnement alimentaire, dans le cadre de laquelle le gouvernement a dû restructurer les chaînes d'approvisionnement pour les rendre plus durables.

Le programme d’alimentation scolaire a également encouragé les écoliers à choisir le genre d’aliments qu'ils souhaitent, leur permettant ainsi de s'approprier les solutions qui ont une incidence sur leur vie et leur bien-être.

Malgré l'importance indéniable de l'éducation, les pays du monde entier ont éprouvé des difficultés à la traiter comme la priorité qui lui revient. Toutefois, l'éducation ne peut plus être considérée comme une chaîne de montage du 20e siècle, où les élèves sont des intrants pour la croissance industrielle et les enseignants une main-d'œuvre remplaçable.

L'éducation doit être l’œuvre de toute une vie et celle-ci doit être placée au cœur de notre économie. Si nous souhaitons réaliser une véritable transformation économique, il est temps de repenser nos économies afin de garantir une éducation universelle.

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