Niger : répondre aux besoins éducatifs dans un contexte difficile

Malgré des conditions difficiles, le bureau nigérien de l’International Rescue Committee a lancé un programme d'éducation en coordination avec le ministère de l'Éducation du Niger. Nous vous proposons ici quelques suggestions de bonnes pratiques pour travailler dans des contextes similaires, basées sur l'expérience de ce programme.

25 février 2020 par Kiruba Murugaiah , International Rescue Committee
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Lecture : 6 minutes
Une écolière écrivant au tableau dans une école au Niger. Credit: IRC
Une écolière écrivant au tableau dans une école au Niger.
Credit: IRC

En atterrissant à Diffa au Niger, je suis de nouveau frappée par la beauté naturelle pure du vaste paysage sahélien, que ce soit la rougeur de la terre, la disposition clairsemée des arbres ou ce berger solitaire assis à l'ombre d'un arbre observant ses chèvres brouter tout près.

En posant mes pieds sur le tarmac cette fois-ci, je suis saisie par la vue de deux gros véhicules blindés qui n'étaient pas là lors de mes précédents voyages. Comme un rappel soudain et brutal de l'insécurité qui augmente dans le bassin du lac Tchad.

Des camions militaires à l'extérieur de l'aéroport de Diffa au Niger.
Des camions militaires à l'extérieur de l'aéroport de Diffa au Niger.

La violence et les catastrophes naturelles perturbent l'éducation

Au moins 11 groupes terroristes faisant allégeance à al-Qaida, à l'Etat islamique et à Boko Haram opèrent dans la vaste zone du bassin du lac Tchad, au-delà des frontières du Niger. En 2015, les actions militaires contre Boko Haram ont contraint environ 213 000 réfugiés du nord-est du Nigéria à traverser le Komadougou Yobé (une rivière) pour chercher une protection dans la région de Diffa.

Le Komadougou Yobé se jette dans le lac Tchad et approvisionne des millions de personnes en eau. Cependant, en octobre 2019, de graves inondations ont détruit les récoltes, les maisons et complètement submergé des villages entiers, aggravant encore la crise. En décembre 2019, le HCR estimait qu'environ 260 000 réfugiés et personnes déplacées se trouvaient à Diffa, dont 57 % étaient des enfants âgés de 4 à 17 ans.

La plupart des enfants réfugiés et déplacés à Diffa ne sont pas scolarisés. Le bureau de l’International Rescue Committee (IRC) au Niger a lancé son programme d’éducation dans la région en 2016, en coordination avec le ministère de l'Éducation, conformément au plan sectoriel de l’éducation du pays pour la période 2014-2024, élaboré avec le soutien du PME.

Notre travail actuel s'appuie sur les succès et les leçons apprises depuis lors, afin de créer un environnement d'apprentissage sûr et structuré, d'améliorer les compétences fondamentales en lecture et en mathématiques et de fournir des opportunités d'apprentissage socio-émotionnel (ASE).

 Carte des parcours de réussite

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Grâce à un financement renouvelé, les actions de l'IRC au Niger touchent désormais 30 écoles primaires, plus de 240 enseignants et au moins 16 000 enfants à Diffa.

Des enfants dans une salle de classe à Diffa au Niger.
Des enfants dans une salle de classe à Diffa au Niger.

Lors de ce voyage, j'ai accompagné notre représentant des donateurs lors d'une « mission d'écoute » à Diffa, au cours de laquelle nous avons sollicité les avis des principales parties prenantes que sont les enseignants, les mamans, les enfants, le gouverneur et le maire de Diffa, les conseillers pédagogiques et les inspecteurs des écoles.

Cette « mission d'écoute » a approfondi mon appréciation du travail véritablement difficile mais transformateur du personnel de l'IRC au Niger. Cela a également renforcé ma capacité à davantage tenir compte des réalités des contextes ciblés durant le processus d’élaboration de nos programmes.

Soutenir des enfants ayant vécu des expériences traumatisantes

En 2016, lorsque nous commencions notre travail, nous avons élargi l'approche Healing Classroom de l'IRC pour intégrer les possibilités d’ASE dans l’enseignement de la lecture fondamentale et les mathématiques dans les programmes de tutorat après les cours.

Chaque exemple d’ASE est conçu pour aider les enfants victimes de traumatismes à améliorer leur bien-être. Nous avons sélectionné des activités de pleine conscience ainsi que des jeux pour stimuler la réflexion et les compétences socio-émotionnelles des enfants.

Ces activités éducatives s’inspirent d'outils ayant fait leurs preuves en Occident et qui ont été contextualisés pour convenir au contexte nigérien.

Nous avons également introduit un programme complet de développement professionnel des enseignants. Les enseignants ont participé à des formations, à des rencontres d’échanges entre pairs et ont bénéficié d’un programme de mentorat personnalisé. Ce programme, bien que techniquement solide, était très difficile, car nous préparions les enseignants à un changement important dans leur pratique.

Les retours des communautés mettent en lumière ce qui a fonctionné ou pas

À la fin de la première année, nous avons organisé un atelier pour évaluer les pratiques sur la base des commentaires du personnel et des participants. Les enseignants, le personnel d’appui et les enfants ont clairement affiché leur préférence pour les jeux de stimulation cérébrale plutôt que les activités de pleine conscience.

Certains parents pensaient que les activités de pleine conscience convertiraient leurs enfants au christianisme, tandis que certains les comparaient à du « yoga ». L’on pouvait noter une méfiance générale vis-à-vis de ces activités et pratiques.

Sur une note plus positive, nous avons appris que notre formation approfondie des enseignants était très appréciée. Cependant, des critiques ont été exprimées sur la charge de travail et les efforts supplémentaires, les complications logistiques et les coûts d'impression élevés.

Maintenant, trois ans plus tard, j’apprends que l’appellation « pleine conscience », qui avait été traduite en français par « L’Esprit Présent », est aussi le nom d’une émission de radio chrétienne évangélique diffusée au Niger. Pas étonnant que ce terme n’ait pu convenir aux parents musulmans de Diffa !

Cela met en évidence la nécessité de porter une attention particulière aux nuances socioculturelles lors de la mise en œuvre des programmes d’ASE, même lorsque nous souhaitons le déploiement rapide d'un programme.

En ce qui concerne les enseignants, les lacunes et les défis liés aux connaissances fondamentales étaient apparents. Ils ont encore du mal à prononcer correctement les noms et les sons des lettres en français et à enseigner des concepts mathématiques plus complexes, par exemple. Des défis qui ont pourtant des solutions simples, peu coûteuses et rapides. Nous proposons désormais des tablettes contenant du matériel d'enseignement et d'apprentissage tels que des vidéos sur YouTube qui développent les connaissances des enseignants sur des contenus spécifiques.

De plus, un groupe WhatsApp pour les enseignants, leurs tuteurs et le personnel de l'IRC a été créé pour faciliter les discussions et partager des documents et contenus vidéos directement et rapidement. Cela a contribué à faciliter la communication et réduire les barrières entre ceux que nous servons et le personnel.

5 points à retenir de mes expériences à Diffa

Mon expérience m’a conduit à intégrer deux principes de base du développement de programmes adaptés au contexte - Écouter plus et faire simple.

Je vous présente ici quelques-unes des pratiques que j'utilise et cherche à améliorer, tout en espérant qu'elles seront utiles aux autres :

  1. Favoriser les relations basées sur la confiance et la franchise entre les membres de l'équipe, des mobilisateurs communautaires aux conseillers techniques, en passant par les responsables et gestionnaires de programmes, les coordinateurs et autres personnels de soutien technique au niveau du siège. Des relations peuvent être établies en utilisant divers canaux de communication - discussions en face à face, sur Teams ou sur WhatsApp.
  2. Établir une routine d'écoute hebdomadaire ou bi-hebdomadaire. Une fois de plus, cela peut se faire par le biais de groupes WhatsApp ou Teams. À Diffa, j'ai observé une pratique qui consistait pour les gens de former un cercle et de discuter, les échanges étant dirigés par le coordinateur de terrain. J’ai trouvé cette pratique très efficace. Dans le cadre d’un programme, une pratique similaire pourrait être utilisée pour recueillir les réflexions, les plaintes et les requêtes des bénéficiaires et créer un esprit de communauté.
  3. Changer l'approche de suivi actuelle souvent basée sur l'observation et des questions fermées et l’ouvrir pour y inclure des mécanismes de rétroaction qui encouragent nos bénéficiaires à exprimer leurs idées et leurs expériences de nos programmes.
  4. Concevoir des programmes éducatifs adaptés au contexte qui valorisent, respectent et s'appuient sur les valeurs socioculturelles des participants à nos programmes. Nous pouvons le faire en veillant à ce que la conception et le développement du contenu soient effectués dans le pays et intègrent l'expertise du personnel de terrain et des experts nationaux. Pour la mise en œuvre d'interventions ayant réussi dans d'autres contextes, prévoir une phase de prototypage et de pilotage plus longue avant le déploiement complet.
  5. Investir plus de temps et de ressources dans l'identification des informateurs clés, des organisations partenaires, des partenaires de recherche, des experts et des consultants issus de la région ou du pays et disposant des connaissances socioculturelles pour façonner la conception du programme en fonction du contexte local. Cela permet d'éviter la contextualisation et les erreurs de traduction qui peuvent saper les objectifs du programme.

Écouter pour répondre de manière plus efficace aux crises

Ce sont quelques-uns des principaux enseignements de ma dernière visite. Le travail de l'IRC au Niger est incroyablement complexe et donc difficile.

Dans de tels contextes, nos efforts sont d’autant plus cruciaux. Nous avons tellement à apprendre en ce qui concerne la prise en compte des spécificités des contextes dans lesquels nous travaillons, lors de l’élaboration de nos programmes.

Il est essentiel pour notre travail d'écouter d'une oreille attentive et de comprendre comment les moteurs d'une crise - terrorisme islamiste, changement climatique, pauvreté, pratiques socioculturelles - façonnent notre travail.

En passant devant la rangée de véhicules des Nations Unies et des ONG, les barbelés et les avant-postes gardés sur le chemin de l'aéroport de Diffa, j'ai une meilleure compréhension de la manière de devoir agir en fonction des besoins de nos cibles dans notre quête de l'excellence technique.

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Slt bonne initiative je me nomme Mr Modou nguirane jeune sénégalais egiger en matière d'entrepreneuriat et l'art d'écrivain avec plus de mille œuvres déjà réalisés. Bref Merci beaucoup que le bon dieu vous bénisse d'avoir donnée un clein d'oeuil des enfants et les soutiens apportés . Comme le dit à mes œuvres ; un enfant est un dont de dieu . Celui qui le prête du bien , ne vs oublierra jamais .merci

Such challenging and valuable work. The lessons learned apply almost everywhere I would think. I’m curious about your ability to capture data in a structured way (quantitative and qualitative). Would be interested in connecting to explore this further.

En réponse à par Ken McBean

Hi Ken,
Happy to connect offline. Yes we did/do have a structured systematic way of capturing both types of data though there are numerous challenges with that as well. One example is an excess of data of analyse and present in an actionable way fast enough in order for it useful. Nonetheless, it is done systematically and improving it is a key priority for the IRC.

Reading through this initiative about the education program in Niger and looking at the photo of the military trucks really makes me shudder. According to the numbers, 260,000 refugees and displaced people are in Diffa and most of them are children aged 4-17. This program advocates for education to be prioritized and provides a lifelong learning experience not only for children but also for teachers and parents as well. Education in difficult contexts, when the main enemies are terrorists and poverty, needs to have a different aspect. Emphasis is given on the psychological support as well as children's thinking and social-emotional skills through mindfulness activities. Feedback from the most important stakeholders is also highly prioritized. But the most significant thing is "listening", "listening is the key to respond more effectively to crises". And it actually applies to several topics and fields. This article gave me plenty of food for thought and triggered my curiosity to learn more about education in emergency situations.

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