Trop d’enfants entrent en classe sans comprendre ce que dit leur enseignant ou le matériel qu'on leur fournit, car la langue utilisée dans leur école n'est pas celle qu'ils utilisent à la maison - leur « langue maternelle ».
Plusieurs études, notamment le document du Rapport mondial de suivi sur l’Éducation, de l’an dernier ont montré à de nombreuses reprises, combien cela est dommageable pour l’éducation. Cela place en effet les enfants dans l'impossible situation de tenter d'apprendre dans une langue qu'ils ne comprennent pas. Souvent, il faut alors attendre la 3e ou 4e année pour commencer à comprendre, et ensuite apprendre.
Les enfants les plus marginalisés sont souvent laissés pour compte
Cela crée une situation désolante : des enfants qui se sentent à la marge, exclus de l’apprentissage, et un sentiment de retard et d’échec, dès le tout début de leur scolarisation. De nombreuses données montrent que cela conduit à la démotivation et au décrochage des élèves.
De plus, dans les sociétés multiethniques, imposer la domination d’une langue par le système scolaire est souvent issu d’un héritage social plus large, d'inégalités culturelles et d’une marginalisation des groupes non-dominants. Lorsque cela s’associe à des poches de pauvreté ou de marginalisation déjà existantes, l'enseignement dans une langue non maîtrisée ferme définitivement la porte de la salle de classe : les parents, par peur de l'échec, hésitent alors souvent à envoyer leurs enfants à l’école.
Tragiquement, le bon sens exige que les enfants comprennent la langue dans laquelle on leur enseigne connaissances et compétences. Les Etats n’en font pourtant pas assez :
près de 40 % de la population mondiale reçoit ainsi un enseignement dans une langue qu’elle ne parle ni ne comprend. Cela doit changer.
Les efforts infatigables de la société civile en faveur de l'enseignement dans la langue maternelle
Les militants de la société civile œuvrent sans relâche pour faire passer ce message : l'enseignement et l'apprentissage doivent d'abord se faire dans la langue maternelle de l’élève. C’est un élément clé pour le développement de systèmes éducatifs plus équitables, et cela fait partie d'un mouvement élargi en faveur de l'équité et de la diversité culturelle.
Le mouvement mondial de défense des droits à l’éducation utilise la Journée internationale de la langue maternelle pour attirer l'attention sur une lutte continue depuis 17 ans en faveur de l'enseignement dans la langue maternelle.
Plusieurs coalitions de la société civile, dans le cadre de la Campagne mondiale pour l’éducation, notamment celles qui sont soutenues par le « Fonds de la société civile pour l’éducation », sont à l’avant-garde de la campagne pour assurer de meilleures politiques en matière de langue maternelle et mettre les Etats devant leurs responsabilités en tant que prestataires des services éducatifs.
Des avancées au Népal
Au Nepal, où l’on parle plus de 123 langues, 54 % de la population possède une langue maternelle autre que le népalais, mais c’est pourtant ce dernier qui demeure la principale langue d’enseignement. En conséquence, la Campagne nationale pour l’éducation-Népal (NCE Nepal), place la défense de l’enseignement dans la langue maternelle au centre de ses actions, en particulier pour les jeunes enfants.
En 2015, après des années de campagne, la nouvelle Constitution a instauré le droit à l’enseignement dans la langue maternelle pour chaque communauté népalaise. Ceci a constitué une nette victoire dans la lutte pour la reconnaissance de l’importance de l’enseignement dans la langue maternelle.
NCE continue de veiller à ce que ce droit soit inscrit dans les principaux documents et processus politiques et, dans le cadre d’une stratégie globale pour influencer le développement d’un programme national népalais sur les nouveaux Objectifs de développement durable et l'Agenda 2030 pour l’éducation dans le monde, NCE milite pour que la totalité de l’enseignement préscolaire soit fait dans la langue maternelle.
Malgré cet engagement constitutionnel et la mise en place de politiques, de grandes lacunes subsistent en termes de financement pour résoudre la pénurie d’enseignants capables d’enseigner dans la langue maternelle, ainsi que de matériels pédagogiques correspondants.
Cela illustre une préoccupation continue des militants de l'éducation : les Etats voient souvent l’enseignement dans la langue maternelle comme une mesure trop coûteuse et trop difficile à mettre en place. Mais nous connaissons le prix du manque d'investissement dans cette mesure, en particulier pour les jeunes enfants :
toutes les données montrent qu’une politique des langues locales entraîne une baisse du taux de décrochage, une meilleure rétention et une plus grande réussite.
L’utilisation des langues autochtones en Bolivie
Les militants des autres pays se concentrent non seulement sur la mise en place des politiques, mais également sur le difficile exercice d'une mise en œuvre effective. Par exemple, la Campagne bolivienne pour le droit à l’éducation (CBDE), milite depuis longtemps avec force pour le droit à l’éducation inclusive pour tous les Boliviens, dont une majorité de populations autochtones (60 % de la population du pays).
En 2010, la nouvelle Loi sur l’éducation nationale a constitué un grand pas en avant, en stipulant que chaque enfant doit faire l’apprentissage d’une langue et culture autochtones en plus de l’espagnol. Un important programme est déployé pour prendre en compte ce droit, et c’est crucial dans un pays aussi multiethnique, et notamment des dispositifs pour adapter les services aux réalités locales.
Parmi eux, des comités communautaires participatifs - les conseils autochtones de l'éducation (CEPOS) – qui décident quelle langue sera utilisée dans les écoles des communautés multilingues. La CBDE œuvre à plusieurs niveaux pour aider les communautés à s’engager en veillant à être véritablement participatives, à développer des outils de responsabilisation sociale et à appliquer la Loi sur l'éducation nationale de 2010.
Employer la langue maternelle pour jeter les bases de l’apprentissage
Il est tout simplement inacceptable qu’un enfant soit livré à lui-même, assis dans une salle de classe pendant des heures, incapable de comprendre la langue de l’enseignement qu’il reçoit. Cela trahit fondamentalement le droit à l'éducation.
Veiller à un enseignement pour tous dans la langue maternelle, en particulier dans les pays multiethniques, n’est pas chose facile. Mais, nous savons ce qui fonctionne.
La norme acceptable reconnue par les spécialistes est la nécessité d’un enseignement dans la langue maternelle durant six ans.
Les enfants ont besoin « d’apprendre à apprendre » d’abord dans leur propre langue.
Une fois les bases acquises, ils peuvent ensuite passer à un apprentissage dans une langue qui n'est pas la leur. Il s’agit donc d’investir dans l’enseignement dans la langue maternelle au minimum pour les jeunes enfants.
Les Etats doivent également investir dans le recrutement d’enseignants dans la langue maternelle et dans l'élaboration de programmes scolaires ; ils doivent fournir les matériels pédagogiques dans la langue maternelle ; et doivent travailler aux côtés des communautés afin de veiller à ce que l'éducation reflète la diversité locale.