Cependant, comme nous l'avons constaté dans notre revue de littérature détaillée portant sur le rôle de la société civile dans l'élaboration des politiques éducatives dans les pays du Sud, les 25 dernières années ont été marquées par une réussite remarquable mais peu connue, à savoir l'adoption d'un consensus mondial selon lequel tous les enfants, partout dans le monde, ont le droit d’aller à l’école (ce qui implique, dans la mesure du possible, des services publics) et d'apprendre. Cela a nécessité des campagnes, des activités de plaidoyer et des projets pilotes de grande envergure destinés à atteindre les enfants non scolarisés.
Le leadership de la Campagne mondiale pour l'éducation, une coalition internationale d'ONG, de mouvements sociaux, de syndicats d'enseignants, de coalitions nationales pour l'éducation et d'autres groupes civiques, a permis de coordonner l'activisme et d'en amplifier les effets.
Le fait que des groupes extrémistes tels que les Talibans et Boko Haram soient exclus de la communauté internationale parce qu'ils s'opposent à l'éducation de base en dit long sur l'universalité de cette idée. On a facilement tendance à oublier tout l'activisme qui a permis d'établir cette norme, ou que cela n'était pas du tout inévitable.
… mais la société civile a mieux réussi à promouvoir l'accès à l'éducation qu'à en améliorer la qualité
Élargir l'accès à l'éducation de base a été largement plébiscité par les parents, les élèves, les gouvernements, les enseignants, les bailleurs de fonds et le grand public. En revanche, il a été plus difficile de plaider en faveur d'une amélioration de la qualité de l’éducation pour résoudre la crise de l'apprentissage les mesures qui ont fait leurs preuves sont moins claires, les stratégies sont plus complexes et les acteurs de la société civile sont plus divisés dans leurs idées et leurs intérêts.
Certains groupes civiques, comme Pratham en Inde, ont montré comment la recherche et la mobilisation orientées vers l'action peuvent garantir que « tous les enfants vont à l’école et apprennent correctement » (leur slogan). Toutefois, la société civile a généralement éprouvé plus de difficultés à faire campagne pour les réformes de l'apprentissage que pour l'accès à l’éducation, et il y a eu moins de cohésion et d'efforts dans l'ensemble de la société civile pour faire avancer un programme de plaidoyer commun.
La société civile est oppressée
La conjoncture politique revêt une importance cruciale. En effet, la société civile a connu son heure de gloire à l'époque optimiste des Objectifs du Millénaire pour le développement et du mouvement de l'éducation pour tous.
C'était après la fin de la guerre froide, lorsque la démocratie était en plein essor, l'espace civique s'élargissait et les bailleurs de fonds ainsi que de nombreux gouvernements de pays en développement étaient disposés à impliquer des ONG et des groupes de la société civile progressistes et spécialisés dans les droits humains dans l'élaboration des politiques d'éducation. Cette époque est désormais révolue.
Les groupes progressistes et de défense des droits humains sont confrontés à la stigmatisation, à des restrictions juridiques et administratives, voire à la violence.
Par ailleurs, les représentants de la société civile nous rapportent que les financements ont été réduits, dès lors que les bailleurs de fonds exigent des preuves d'impact plus « rigoureuses » que celles que les activités de plaidoyer de la société civile peuvent fournir car elles sont souvent limitées par des contraintes financières et politiques.
Plus inquiétant encore, l'espace civique est en pleine mutation partout, étant donné que les groupes conservateurs occupent une plus grande partie de l'espace politique qu'auparavant.