Mes camarades de classe et moi-même étions impatients. « 10, 9, 8, 7..., » nous avions compté à rebours jusqu'à midi, en croisant les doigts. Nous étions allongés dans mon jardin à Belfast en 1974. J'avais 8 ans et c'était pendant le soi-disant conflit nord-irlandais.

Mon jardin donnait sur les terrains de football de notre école primaire du quartier et nous pouvions clairement apercevoir le bâtiment de l'école au loin. Nous avions été évacués en raison d'une alerte à la bombe plus tôt dans la journée (ce qui arrivait régulièrement à l'époque) et on nous avait dit que l'école allait exploser à midi. Nous avons compté à rebours, midi est arrivé... et pas d'explosion. Le lendemain, nous sommes retournés à l'école comme si de rien n'était !

Environ 3 700 personnes ont perdu la vie au cours du conflit nord-irlandais qui a duré plus de 30 ans. Chaque mort a été tragique et bouleversante. Bien que ce chiffre corresponde à peu près à celui de la première semaine du conflit actuel entre Israël et Gaza, à l'époque il était considérable pour nous. Pour de nombreux enfants comme moi, chaque jour l’éducation était perturbée.

Deux raisons pour lesquelles l'éducation est importante

En Irlande du Nord, l'éducation est largement considérée comme un élément clé pour s'assurer que nous restons dans la dynamique de l'après-conflit et que nous ne reviendrons pas au mauvais vieux temps. Je dis cela pour deux raisons principales qui sont liées :

• L'éducation contribue à la paix et à la stabilité - Ce n'est pas un hasard si, lorsque le Premier ministre britannique Rishi Sunak s'est rendu récemment à Belfast pour marquer le rétablissement de l'Assemblée d’Irlande du Nord, il a visité une école primaire « intégrée » située à quelques kilomètres de Belfast, où les enfants des deux principales religions du pays sont instruits côte à côte (pour en savoir plus sur l'éducation « intégrée »). Leo Varadkar, le Taoiseach (Premier ministre) irlandais, était également à Belfast.

  Ce n'est pas un hasard si la dernière fois qu'il est venu, il a annoncé un nouveau programme appelé Peaceplus de plus d'un milliard de livres sterling, qui prévoit des fonds importants et des initiatives visant à promouvoir un enseignement et des expériences d'apprentissage partagés pour les jeunes.

  Que ce soit par le biais de l'éducation « intégrée », de programmes tels que Peaceplus ou d'autres moyens, l'éducation inclusive a un rôle essentiel à jouer dans la promotion de la compréhension mutuelle et dans l'enracinement de la paix et de la stabilité futures. Cette vision est étayée par de nombreuses recherches (voir, par exemple, l'article de recherche publié en 2022 par Abbott et McGuinness dans l'International Journal of Inclusive Education).

• L'éducation mène à l'emploi et à la prospérité - Lorsque j'étais jeune étudiant à l'université en Écosse, le gardien de but de notre équipe de foot était un autre gars de Belfast. J'ai passé mon bac dans une école de Belfast. Il a passé le sien dans une prison de Belfast, où il purgeait une peine pour des délits « paramilitaires » de première ligne. Pour lui, l'éducation était un moyen d'échapper au conflit et d'accéder à une vie meilleure.

  Pour beaucoup d'autres personnes en Irlande du Nord, l'éducation était une issue au chômage et aux inégalités sociales. Le lien entre l'éducation, les revenus et l'employabilité est l'une des données probantes les plus solides que je connaisse dans la littérature microéconomique.

  L'éducation est utile aux individus. Elle l'est aussi pour les lieux. J'ai passé beaucoup de temps chez PwC à essayer de faire venir des entreprises en Irlande du Nord. Si j'ai appris une chose de cette expérience, c'est que si nous ne pouvons pas rivaliser avec les meilleurs du monde en matière d'éducation et de compétences, nous serons laissés de côté.

  Pour qu'un petit pays comme l'Irlande du Nord puisse prospérer en termes de croissance, de développement, d'investissement, d'innovation et d'esprit d'entreprise (en particulier dans un environnement post-conflit) il a besoin d'une main-d'œuvre dotée d'une éducation et de compétences de premier ordre. Mon point de vue est étayé par de nombreuses données probantes issues de la recherche (cf., par exemple, le rapport OECD Skills Strategy Northern Ireland de l’OCDE).

De nombreux éléments concrets montrent l'importance de l'éducation pour l'emploi et la paix

Cinquante ans après que ladite bombe n'a pas explosé dans mon école, je suis aujourd'hui semi-retraité et j'habite à une rue de cette même école. Tout au long de ma carrière d'universitaire et de consultant, j'ai effectué de nombreux travaux sur l'éducation. Par exemple, mon doctorat à Warwick était un travail d'économétrie pur et dur, portant le titre très peu imaginatif de « Éducation, formation et chômage : une analyse empirique pour l'Irlande du Nord ».

De même, en tant que partenaire PwC, j'ai eu le privilège de travailler sur les programmes Girls' Education Challenge et Global Education and Skills Partnership dirigés et financés par le gouvernement britannique. Ces programmes continuent à promouvoir la prestation de l'éducation et de ses résultats dans plusieurs des zones de conflit les pires au monde.

J’ai aussi toujours le plaisir d’être un « ambassadeur pour le Royaume-Uni » du Partenariat mondial pour l'éducation (GPE), une formidable organisation mondiale qui plaide en faveur de l'investissement dans l'éducation.

Dans ce contexte, j'ai souvent dû justifier l’intérêt d’investir dans l'éducation à l'échelle mondiale. Par exemple, voici ce que j'ai écrit dans un précédent article : le meilleur investissement dans la santé mondiale est d’investir dans l'éducation dans le monde ; le meilleur investissement dans le climat est d’investir dans l'éducation ; et le meilleur investissement dans l'économie mondiale est d’investir dans l'éducation dans le monde (voir l'encadré ci-dessous).

Au vu des conflits majeurs en cours dans le monde (Israël-Gaza, Ukraine, Soudan et autres) le plaidoyer en faveur de l'éducation semble s'être considérablement renforcé. Bien qu'il soit difficile d’entrevoir un chemin vers la paix dans beaucoup de ces endroits, à un moment donné, les guerres s'arrêteront et le « post-conflit » pourra commencer.

La reconstruction commencera, pas seulement celle des villes et des infrastructures, mais aussi, et surtout, celle des cœurs, des esprits, des espoirs et des vies brisées. Et l'éducation aura un rôle majeur à jouer.

Il ne s'agit pas seulement des réflexions d'un garçon de Belfast fondées sur son expérience du conflit nord-irlandais. C'est aussi la principale conclusion d'une nouvelle étude réalisée par l’Institut pour l’économie et la paix et financée par le GPE :

Comme en Irlande du Nord, l'éducation inclusive doit être au cœur de toutes les discussions sur la reconstruction post-conflit et sur le maintien d'un monde plus sûr et plus pacifique.