Les déplacements forcés en Afrique ont un visage féminin

Les mesures audacieuses prises par l’Afrique pour traiter la dimension du genre dans les déplacements forcés et leur impact sur l’éducation des filles.

29 mars 2019 par Victoria Egbetayo, GPE Secretariat, et Catherine Nyambura, GPE Secretariat
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Une petite souriant. Camp de réfugiés de Kiryandongo en Ouganda. Crédit: GPE/Henry Bongyereirwe
Une petite souriant. Camp de réfugiés de Kiryandongo en Ouganda.

Un enfant déraciné, qu’il soit réfugié, migrant ou déplacé interne, est avant tout et surtout un enfant. Or, tout enfant a droit à une éducation. Selon le HCR, au moins 68,5 millions de personnes à travers le monde sont déplacées de force aujourd’hui, dont 25,4 millions de réfugiés. Environ 52 % des réfugiés ont moins de 18 ans.

Le Rapport mondial de suivi sur l’éducation publié récemment, entend également traiter du lien entre les migrations et l’éducation dans son édition 2019. De plus en plus, il est évident que le visage de cette crise est essentiellement féminin car, les femmes et les filles représentent la moitié de la population vivant dans des camps de déplacés.

Du lien entre la dimension de genre dans la problématique des déplacements forcés et l’éducation

Crises et conflits constituent des éléments perturbateurs pour l’éducation. Les réfugiés ont en effet cinq fois plus de risques d’être non scolarisés que les autres enfants. En général, les personnes déplacées ne font pas partie d’un système éducatif ou sont scolarisées dans des écoles aux ressources extrêmement limitées. Or, un réfugié passe en moyenne 20 ans dans un pays d’accueil, ce qui signifie qu’un enfant pourrait passer la totalité de sa scolarité dans un camp de réfugié, avec peu d’espoir d’avoir un emploi ou une carrière.

L’absence d’accès à une éducation de qualité prolonge et aggrave les difficultés liées à la vie en exil et à l’expérience du déplacement telles que trouver du travail, rester en bonne santé, conserver dignité et espoir. Les effets sont par nature particulièrement trans-sectoriels et contribuent à des taux élevés de mariages d’enfants, de grossesses précoces, de mortalité infantile et augmentent les risques de violence et d’exploitation pour les filles.

Des données probantes de plus en plus nombreuses montrent que les crises, qu’il s’agisse de catastrophes naturelles ou de conflits, exacerbent les risques de mariage précoce et de violence sexuelle pour les filles, et compliquent la mise en œuvre des programmes d’aide qui leur sont destinés. Par exemple, l’Afrique occidentale et centrale affiche le plus fort taux de mariage d’enfant. Des pays du Sahel tels que le Niger, la République centrafricaine et le Tchad sont les trois pays affichant les taux les plus élevés au monde, ce qui illustre l’intensification des risques pour les femmes et les filles en cas de crise humanitaire.

De même, les forts taux de mortalité infantile et maternelle en Afrique sont plus élevés pour les femmes et les filles déplacées, et en particulier pour les adolescentes. Dans ce type de contexte, les politiques et cadres juridiques en matière de violence sexuelle contre les filles sont largement absents. Ces dimensions essentielles liées au genre dans le cadre des déplacements forcés doivent être au cœur des débats portant sur les politiques et des réformes juridiques dans ce domaine.

Dans les pays touchés par le conflit, les filles risquent 2,5 fois plus d’être non scolarisées que les garçons. Elles ont ainsi moins d’opportunités éducatives, ce qui les prive de la possibilité de reconstruire leur vie et de se protéger contre les abus.

Si l’on veut rétablir un équilibre au niveau national, régional et mondial, des stratégies sont nécessaires pour permettre à davantage de filles d’être scolarisées et de le rester, même lorsqu’elles doivent fuir leur foyer. L’éducation des femmes et des filles est essentielle pour parvenir à des solutions durables aux crises et aux conflits, et elle est la clé à la fois de leur émancipation et de la libération de leur leadership potentiel en matière de paix.

Partout, il est nécessaire d’agir, au sein des ministères nationaux de l’éducation, des institutions de formation des enseignants, des communautés et des salles de classe, pour permettre l’accès à une éducation de qualité aux filles déplacées. Et pour combler les vides juridiques de la législation en faveur de l’égalité des sexes et de sa mise en œuvre.

Si nous négligeons l’éducation des filles déplacées, les conséquences se feront sentir sur des générations. Faire des femmes et des filles déplacées une priorité et rechercher une plus grande responsabilité en termes d’engagement politique et de protection juridique est l’appel commun lancé par les partenaires lors de la 33ème assemblée de la GIMAC et du 32ème Sommet de l’UA en février 2019.

Le déplacement en Afrique et les engagements politiques ambitieux

Le 32ème Sommet de l’Union africaine en février a déclaré l’année 2019 « Année des personnes réfugiées, rapatriées et déplacées internes », en vue de rechercher des « solutions durables au déplacement forcé ». Le Partenariat mondial pour l’éducation (GPE), aux côtés de ses partenaires, contribue aux discussions sur la dimension de genre du déplacement forcé, et en particulier de l’impact de ce dernier sur les filles, en soulignant les mesures nécessaires pour leur garantir la possibilité de continuer à bénéficier d’une éducation.

L’Afrique affiche la plus grande population d’enfants vivant en situation d’urgence, de conflit ou de catastrophe, c’est-à-dire près de 393 millions (soit les trois-quarts de la population mondiale). Certains des camps de réfugiés les plus grands au monde sont situés sur le continent africain : BidiBidi en Ouganda, Daadab et Kakuma au Kenya.

La générosité de l’Afrique envers ceux qui fuient la guerre et la persécution est unique et montre que la compassion n’est pas proportionnelle à la richesse.

Antonio Guterres, Secrétaire-général des Nations unies

Le continent accueille en effet 1/3 de la population réfugiée dans le monde, dont la plupart sont des enfants et des femmes, soit respectivement 51 % et 59 %. Parmi les 10 premiers pays à accueillir des réfugiés, l’Ouganda, le Kenya et l’Éthiopie accueillent une plus grande proportion de filles que de garçons. Si garçons et filles sont touchés par les crises et les conflits, le visage du déplacement en Afrique est sans aucun doute, et de façon disproportionnée, celui d’une fille.

Bien que l’Afrique, en tant que région, ait fait preuve d’une volonté politique et d’engagements crédibles pour traiter le problème des populations déplacées, le 32ème Sommet de l’UA et la 33ème assemblée de la Campagne « Le Genre : Mon Agenda » (GIMAC), ont été l’occasion de rappeler la dimension du genre dans le déplacement.

Le thème du sommet 2019 de l’UA marquait le 10ème anniversaire de la Convention de Kampala, de l’Union africaine, premier instrument de ce type, qui a également influencé le développement du récent Pacte mondial sur les réfugiés, tel que l’a souligné le Secrétaire-général des Nations unies.

Le Sommet a commémoré les 50 ans de la Convention de l’Organisation de l’unité africaine (prédécesseur de l’UA), qui règlementait des aspects précis du déplacement des populations en Afrique, notamment celui des réfugiés. Ensemble, ces engagements clés en matière de politiques régionales complètent le Protocole de l’UA sur le libre mouvement des Africains sur le continent et la Zone de libre-échange continentale. Soulignons la nature trans-sectorielle complexe de la migration et du déplacement.

Combler le fossé en matière d’aide humanitaire et de développement pour les filles – des engagements politiques audacieux à la responsabilité

La 33ème GIMAC, qui avait pour thème « Vers des solutions durables au déplacement forcé intégrant la notion de genre » a été l’occasion d’une plateforme panafricaine unique permettant à la société civile de mobiliser son influence et ses partenaires sur l’agenda en faveur de l’égalité des sexes de l’Union africaine dans six domaines (gouvernance, paix et sécurité, droits de l’Homme, santé, éducation et émancipation économique). En tant que plateforme de responsabilité, la GIMAC veille également à la mise en œuvre de la Déclaration solennelle pour l’égalité de genre en Afrique (DSEGA) de l'UA.

De même, avec l’imminente fin du Plan d’action sur dix ans de la Charte sur les droits de la femme en Afrique et le 15ème anniversaire du Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, relatif aux droits de la femme en Afrique (Protocole de Maputo), cette GIMAC revêtait une signification particulière.

Une séance animée par le FAWE, avec le GPE, Save the Children et l’IGAD, a permis aux partenaires de l’éducation régionaux et internationaux d’étudier les obstacles auxquels sont confrontées les filles et les femmes déplacées en termes d’opportunités éducatives dans les situations de crise, de discuter de la restauration d’infrastructures éducatives et des milieux scolaires dans les situations d’urgence, ainsi que d’approches alternatives pour améliorer les acquis scolaires des survivants dans les situations de conflit ou de catastrophe naturelle. Cette séance, et d’autres, fut l’occasion de témoignages éloquents de la part de jeunes militants et de survivants du déplacement ayant dû se débrouiller par eux-mêmes pour trouver de quoi financer leur éducation.

Cette séance a été suivie du 3ème Dialogue politique de Haut niveau de l’UA sur le genre, l’éducation et la protection des écoles dans les contextes d’aide humanitaire, auquel ont participé des ministres africains de l’éducation, du genre et de la défense, ainsi que des acteurs internationaux de l’éducation et du développement. Ce dialogue a appelé les États à prendre en compte la vulnérabilité des filles et des garçons déplacés, afin de garantir la poursuite de leur scolarité dans les contextes d’aide humanitaire et d’urgence.

Cela peut être mis en place précisément en adoptant une approche prenant en compte la dimension de genre et en impliquant les femmes et les filles dans les prises de décision au sein des camps et des zones de réinstallation, en renforçant les données ventilées par sexe, ainsi que la coordination et le partenariat, et en rapprochant l’aide humanitaire de l’aide au développement, afin que les services éducatifs ne soient pas interrompus en temps de crise et que filles et garçons déplacés puissent continuer à bénéficier d’une éducation.

Les gouvernements ont été appelés à généraliser une planification sectorielle de l’éducation prenant en compte la dimension de genre dans ces contextes, afin de réduire le nombre d’enfant non scolarisés vivant dans des situations de crise humanitaire et de conflit. Les pays ont également été encouragés à signer et appliquer la Déclaration sur la sécurité dans les écoles.

Les jeunes mettent les gouvernements devant leur responsabilité

La GIMAC et le 3ème Dialogue politique de haut niveau ont donné la parole à des jeunes déplacés et des leaders de mouvements de la jeunesse. Ceux-ci sont en train de renforcer leur capacité, en tant qu’influenceurs et citoyens, à mettre les gouvernements devant leur responsabilité face aux engagements pris. Le FAWE et le bureau de liaison de Plan International à l’UA ont coanimé une session de formation sur le renforcement des capacités de la société civile, et notamment de la jeunesse, à effectuer un suivi du Protocole de Maputo et de la Déclaration solennelle, à communiquer à ce sujet et à influencer les politiques et prises de décision sur les questions qui les concernent.

Le document issu de la GIMAC et la déclaration des jeunes exhortent les dirigeants africains à prendre des mesures concrètes en matière d’éducation pour développer des solutions durables au déplacement forcé en prenant en compte la dimension de genre.

Ils soulignent la nécessité de fournir un accès à une éducation de qualité grâce à une augmentation de l’allocation budgétaire, à des partenariats public-privé pour répondre aux besoins des femmes et des filles déplacées, à l’intégration des réfugiés dans les plans sectoriels de l’éducation et à l’offre de cours complets d’éducation sexuelle destinés aux jeunes.

Enseignements tirés des processus régionaux

En attendant les prochains événements essentiels (notamment la Conférence Women Deliver, le Sommet du G7 et l’Assemblée générale des Nations unies), il est temps que la communauté internationale se penche sur l’égalité des sexes en matière d’éducation. Nous devons tenir compte de ce qui se passe déjà au niveau régional et reconnaître la dimension du genre dans les défis liés au développement.

Si nous devons réaliser les ODD en garantissant qu’aucune fille ne soit laissée pour compte, le visage des filles et des femmes déplacées doit être au cœur des discussions sur les actions trans-sectorielles à entreprendre.

 

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