Avec l’introduction de la lecture en langue maternelle ou langue nationale au premier plan des objectifs des bailleurs de fonds (comme USAID), les professionnels et les Etats s’efforcent de créer des programmes scolaires, du matériel pédagogique et un environnement d’apprentissage actif et sensible la complexité des contextes multilingues que nous desservons.
Cela semble-t-il impossible? Reconnaissons qu’il s’agit d’un défi pour de nombreux professionnels de l’éducation. Mais heureusement, ceux-ci ne sont pas seuls. Une multitude d’organisations s’efforcent courageusement depuis quelques décennies, à tirer les enseignements des milieux dans lesquelles elles agissent, souvent avec succès. Ci-dessous, huit bonnes pratiques identifiées par des experts sur la base d’expériences menées dans le monde entier et consignées par FHI 360, une organisation qui, dans tous ses efforts d’alphabétisation, œuvre à la mise en application de ces pratiques dans ses programmes en direction des pays en développement tels que ACCELERE! en RDC, Learning au Ghana, RANA au Nigeria et Ann-ALE à Haïti.
Tout d’abord, apprenez à connaître votre milieu !
Bonne pratique n°1: Répertorier les langues
Cet exercice a pour but de recueillir des données sur :
- les langues les plus parlées par les élèves et les enseignants— s’il n’y a pas de politique linguistique, ce répertoire peut aider le gouvernement à choisir une langue d’instruction qui reflète les langues les plus parlées dans et hors de l’école.
- le fait de savoir si les enseignants parlent, lisent et écrivent dans la langue d’instruction — ceci contribuera à identifier les besoins des enseignants et à mieux planifier les formations.
- les besoins en termes de distribution des ressources et des matériels — ceci contribuera à une meilleure planification de la distribution des matériels selon les langues parlées le plus couramment à l’école.
Vous désirez en savoir plus? Voici un exemple d'étude de répertoire des langues menée par le Centre de développement de l’éducation du Mali.
Bonne pratique n°2 : Veiller à la standardisation de la/des langue(s) choisie(s)
Comme c’est souvent le cas, de nombreux « dialectes » sont issus d’une même langue. En République démocratique du Congo (RDC) par exemple, il existe des dizaines de versions différentes du « Swahili ». Idéalement, les matériels pédagogiques devraient être rédigés dans chaque dialecte. Mais, ceci n’est pas réaliste dans la pratique. C’est pourquoi il importe d'identifier et de standardiser leur orthographe. Ceci peut se faire en quelques étapes :
- Rassembler les informations et documents existant sur la langue.
- Identifier / recommander une orthographe.
- Élaborer un contenu et une organisation séquentielle des phonèmes et des particules grammaticales par langue.
Vérifier les ressources internationales de la SIL sur la détermination d’une orthographe dans les langues orales ou non standardisées jusqu’alors.
Bonne pratique n°3: Comprendre les éléments et la structure de la langue
Même si vous n’êtes pas linguiste, comprendre la langue vous aidera à déterminer comment enseigner le plus efficacement possibles les compétences dans cette langue. Voici quelques exemples de questions que vous pourriez poser :
Il faut ensuite faire quelque chose des données recueillies !
Bonne pratique n°4: Développer une approche de l’instruction qui prenne en compte le contexte
En s'appuyant sur les données recueillies, la conception du programme d'apprentissage de la lecture peut à présent débuter. Pour cela, il faut :
- Déterminer l’approche d’instruction de la lecture. Dans un contexte multilingue, un bon modèle d’instruction de la lecture dépend de plusieurs éléments, notamment la structure de la langue et l'expérience accumulée des enseignants—comment ils ont appris à lire, dans quelle langue, et comment ils ont enseigné la lecture par le passé. Il vaut mieux ne rien choisir de trop compliqué pour ne pas diminuer les chances de réussite de la mise en œuvre.
- Déterminer la meilleure façon de préparer les élèves à lire dans deux langues (ou plus)— les élèves dans ce type de contexte doivent souvent apprendre à lire dans une ou plusieurs langues (souvent une langue internationale). Selon la politique linguistique du pays, ceci peut se faire par une approche bilingue ou la transition vers une autre langue. Dans les deux cas, un transfert de compétences et parfois de la structure de la langue peut se produire. En tant que telle, la structure linguistique de toutes les langues que les élèves apprendront influera sur ce qui peut être transféré d'une langue à l'autre ou non, c’est-à-dire, ce qui doit être enseigné explicitement dans chaque langue et ce que les élèves pourront déduire par eux-mêmes (inférence). Ces ressources peuvent vous aider à démarrer.
Bonne pratique n°5 : Développer un contenu et une organisation séquentielle réalistes et systématiques
Intégrer le contenu et l’organisation séquentielle des phonèmes et des particules grammaticales dans la séquence de compétences en lecture que les élèves doivent maîtriser. Ce document complet vous aidera à déterminer le rythme auquel vous désirez que les élèves fassent l’acquisition des différentes compétences et contenus. Souvenez-vous du fait que la structure et la complexité de la langue auront une influence sur ce rythme.
Bonne pratique n°6: Développer des textes destinés aux élèves appropriés à la langue et au contexte
Vous êtes enfin parvenu à l’étape la plus sympathique — rédiger le manuel de lecture. Quelques conseils à garder à l’esprit lors de la rédaction dans différentes langues :
- Ne vous contentez pas de traduire les manuels d’une langue à une autre. Ce type d’adaptation ne prend pas en compte les changements de niveau ET la progression en termes de fréquence des mots ou des lettres. Il faut donc développer des critères de niveau spécifiquesà chaque langue (ou à un groupe de langues similaires) sur lesquels vous vous appuierez pour la rédaction.
- Lors de la rédaction de déchiffrables (c’est-à-dire des mots ne contenant que les codes phonétiques déjà acquis par les élèves), veillez à ce que les textes respectent le contenu et l’organisation séquentielle des phonèmes et des morphèmes ou listes de mots très fréquents. Les enfants POURRONT ainsi lire les textes rédigés aux fins de l'apprentissage du déchiffrage. Des programmes tels que SynPhony ou PrimerPro sont d’excellents exemples de logiciels de production de textes.
- Veillez à ce que les thèmes soient accessibles et connus par les élèves. Les jeunes lecteurs utilisent des indices tels que les illustrations et les connaissances préalables pour s’aider dans l’acquisition des compétences en lecture. Il faut donc choisir des thèmes proches de la réalité et de la culture des enfants.
Bonne pratique n°7: Développer du matériel de qualité, riche en vocabulaire et intéressant
Des élèves de niveau 1 assis dans une salle de classe dans le village de Kimpoko en RDC
Crédit Photo: Nathalie Louge
Développer des matériels riches en vocabulaire tels que des grands livres/a> ou du matériel de lecture supplémentaire en langue locale afin de cultiver l’amour de la lecture et de contribuer à bâtir la langue orale. Les grands livres sont souvent le seul moyen d’exposer les enfants de ce type de contexte à l’écoute de la lecture et à un vocabulaire riche dans une langue qu’ils comprennent. La langue orale quotidienne est souvent assez répétitive, et les adultes n’ont pas l’habitude de discuter de sujets « d’adultes » avec leurs enfants. Faire la lecture aux enfants est donc d’autant plus important pour développer le vocabulaire nécessaire.
L’élaboration de livres intéressants dans la langue d’un enfant renforce également la fierté culturelle et l’adhésion à l’utilisation de la langue à l’école.
Bonne pratique n°8: Prendre en compte les sensibilités concernant la langue d’instruction
Dernier point, mais non le moindre, il est essentiel d'évoquer les sensibilités et perceptions linguistiques de la langue choisie pour l’instruction dans des activités telles que les formations, les campagnes ou événements de sensibilisation. Il s’agit d’aborder ces questions d’emblée, plutôt que de les évoquer plus tard comme « excuses » pour résister à la mise en œuvre.
Ces conversations développeront l’adhésion et vous aideront à trouver des solutions afin d'atténuer le conflit potentiel de l'application du programme de lecture dans sa globalité. Faites ceci avec des parents qui sont souvent opposés à ce que leur enfant apprenne à lire dans une langue non-internationale, et avec les enseignants qui peuvent s’avérer sensibles à l’utilisation de la langue d’instruction choisie. Veuillez consulter les boîtes à outils du Centre pour les innovations en matière d’éducation et de l'UNESCO sur la sensibilisation à l’enseignement multilingue.
Un enseignant lisant à haute voix devant ses élèves de 2e année dans une école de Kinshasa en RDC
Crédit Photo: Nathalie Louge
A RETENIR :
Ce sont là des questions complexes… il faut donc se familiariser avec le contexte et utiliser cette connaissancedans la conception des matériels et du programme d’apprentissage de la lecture afin que les élèves puissent apprendre à lire et écrire parfaitement et avecenthousiasme!
Remarque : Vous pouvez accéder à une présentation visuelle du contenu de ce blog (en anglais).
Bibliographie:
- Rhodes, Rebecca. “Moving towards bilingual education in Mali: Bridging policy and practice for improved reading instruction” PowerPoint presentation. EDC Office, Washington, DC. 1er juin 2012.
- SynPhony: http://www.sil.org/resources/software_fonts/synphony
- Primer Pro: http://software.sil.org/primerpro/about/
- Bloom: http://www.sil.org/resources/software_fonts/bloom
- Malone, D. L. (2003). Developing curriculum materials for endangered language education: Lessons from the field. International Journal of Bilingual Education and Bilingualism, 6(5), 332.
- Butzkamm, W. (2003). We only learn language once. The role of the mother tongue in FL classrooms: death of a dogma. Language Learning Journal, Winter 2003, No 28, 29-39