Observer les enseignants en classe pour améliorer l’apprentissage
Le programme OPERA a observé les interactions entre enseignants et élèves en classe au Burkina Faso en vue d’en retirer des leçons pour améliorer les résultats d’apprentissage.
12 juillet 2016 par Marguerite Altet, OPERA
|
Lecture : 11 minutes
Ecole primaire publique Wayalghin à Ouagadougou, Burkina Faso.  Un élève lit au tableau. Credit: GPE/Olivier Badoh

OPERA est un programme de recherche en éducation, mené durant 3 ans au Burkina Faso de 2014 à 2016 et opéré par l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) sur financements du GPE et de l’Agence Française de Développement (AFD). 

Dans la recherche sur la qualité de l’éducation, les travaux de ces dernières années mettent l’accent sur les pratiques enseignantes effectives dans les classes.

OPERA s’inscrit dans cette dynamique et vise à repérer des pratiques enseignantes porteuses d’effet, à construire des outils et des ressources de formation en réponses aux besoins repérés au Burkina Faso, en ayant présent à l’esprit une large dissémination des résultats de la recherche, des outils de formation qui en seront issus dans les pays de la sous-région et dans les pays africains de l’Initiative francophone pour la formation à distance des maitres (IFADEM).

Le Burkina Faso comme terrain de recherche

La recherche OPERA s’est déroulée au Burkina Faso, où l’offre d’éducation, malgré les efforts récents, reste insuffisante. La qualité des enseignants demeure également une préoccupation.

Ainsi en 2013-2014, il y avait 58 294 enseignants mais seulement 86% d’entre eux étaient effectivement chargés de cours.

Un programme de formation continue existe depuis 2001 mais fait face à des difficultés de mise en œuvre liées aux moyens et au manque de motivation des enseignants, dont les salaires sont bas.

Enfin les résultats scolaires, conséquences de la situation générale, sont en deçà des résultats attendus, surtout chez les filles.

Le Burkina Faso présente la particularité d’être l’un des rares pays d’Afrique de l’Ouest francophone dans lequel il n’existe pas de maîtres contractuels dans le primaire.

C’est aussi un des rares pays dans lequel l’approche par les compétences n’a pas été  adoptée par le ministère, qui a préféré concevoir une approche pédagogique intégratrice (API), centrée sur l’apprenant et l’intégration des savoirs.

Les effectifs demeurent pléthoriques dans les classes, avec d’énormes disparités. Les classes observées par OPERA avaient entre 30 et 130 élèves, 70 en moyenne.

Le besoin d’amélioration de la qualité est donc reconnu pour les systèmes éducatifs africains, aussi bien au Burkina Faso que dans les autres pays de la région, et les enseignants sont au cœur de cette amélioration. Observer leurs pratiques pour en déceler les effets produits sur leurs élèves devient un enjeu que le projet OPERA a voulu s’efforcer de relever.

Trois domaines de recherche

Les coordonnateurs scientifiques d’OPERA (Marguerite Altet, Université de Nantes - France, A. Paré-Kaboré, Université de Koudougou – Burkina Faso, Nacuzon Sall, Université Cheikh Anta Diop de Dakar – Sénégal) ont fait le choix théorique de définir la pratique enseignante complexe autour de trois domaines constitutifs : le domaine relationnel, qui recouvre le climat et les relations créés en classe ; le domaine pédagogique-organisationnel, constitué par les activités maître et élèves menées et leur organisation ; et le domaine didactique-épistémique qui gère le champ des enjeux de savoir et des apprentissages (Altet & Vinatier, 2008).

Ces trois domaines constitutifs des pratiques sont mis en relation avec les caractéristiques personnelles sociocognitives de l’enseignant (Clanet, 2005) et le contexte.

Ce choix d’une approche multidimensionnelle de la pratique enseignante amène à reconsidérer une distinction factice entre les travaux des didactiques disciplinaires centrés sur l’apprenant, la gestion et la structuration des savoirs et les recherches sur l’enseignement focalisées sur la dimension de la communication ou des variables d’action ou des facilitateurs pédagogiques.

Ces dimensions constitutives interagissent, ce qui permet l'adaptation de l'enseignant à la situation professionnelle vécue. Les activités d’enseignement-apprentissage mises en œuvre par les enseignants sont analysées comme agissant en tant que médiation pédagogico-didactique sur le processus d’apprentissage et sur les conditions d’apprentissage, sur les activités des élèves et leur médiation cognitive en contexte ; la situation d’enseignement-apprentissage est l’espace de rencontre de cette double médiation maître-élèves ; elle se caractérise par son interactivité.

Une foison de données recueillies sous diverses formes

Les données recueillies viennent de plusieurs sources et comprennent 45 questionnaires directeurs, 90 questionnaires enseignants ; 270 séances de classe pour la phase 1 de recueil et 125 séances pour la phase 2 lors desquelles les tours de parole et les activités du maître et des élèves sont relevés in extenso, le tout accompagné d’entretiens avec les maîtres avant et après la séance et de quelques élèves après.

Soixante vidéos des mêmes séances ont été réalisées ; une étude contextuelle ; les moyennes des élèves pour le CP2 (2°année) et le CM2 (4° année), plus les résultats au Certificat d’Etudes Primaires 2014 pour le CM2, ainsi que les scores obtenus par les élèves aux nouveaux tests PASEC administrés en 2015 dans dix pays dont le Burkina.

Des études de cas qualitatives ont été menées à partir de l’ensemble des données, contexte, questionnaires, entretiens pré-post leçon, observations de six séances par enseignant.

Trois catégories des profils d’enseignement

Le modèle d’analyse donne lieu à trois catégorisations :

  • le profil socio-professionnel des enseignants et leur représentation de l’enseignement-apprentissage. Sur la base de leurs déclarations, quatre catégories ont pu être dégagées mettant en rapport la conception du processus enseignement-apprentissage et le nombre d’années d’expérience. Les enseignants sont majoritairement dans la logique d’apprentissage, centrée sur l’élève, et moins dans la logique d’enseignement, centrée sur les contenus.
  • le profil de pratiques d’enseignement. Pour la phase 1, le domaine pédagogique enregistre le plus grand nombre d’observations et le domaine didactique le plus faible. La même tendance s’observe lors de la phase 2. Dans la recherche OPERA, les résultats obtenus après l’exploitation des observations sont croisés avec la première catégorisation (profil professionnel des enseignants). Ces trois composantes obtenues sont considérées comme de nouvelles variables pouvant avoir du sens. Aussi bien pour le domaine pédagogique que pour le domaine didactique, trois (3) profils de pratiques d’enseignement ont été identifiés.
  • Tableau 1 de synthèse des observations par domaine (phase 1 et phase 2)

    Domaine

    Phase 1

    Phase 2

    Total domaine

    %

    Total domaine

    %

    D1. Climat relationnel

    31 379

    30,10

    20 059

    31,21

    D2. Gestion pédagogique

    43 758

    41,96

    26 039

    40,52

    D3. Gestion didactique

    29 125

    27,94

    18 163

    28,26

    Total Discipline

    104 262

    100

    64 261

    100

  • le profil de pratiques d’enseignement porteuses d’effets potentiels qui résulte du croisement des profils de pratiques d’enseignement (catégorisation 2) avec les notes des élèves. Les moyennes obtenues par les élèves en 2013-2014 servent de référence. L’analyse répartit les moyennes annuelles en trois catégories : faible, moyen et fort en fonction de la moyenne et de l’écart-type. Sur les 41 enseignants/classes ayant participé aux deux phases de l’observation, dix-huit ont des résultats de 5,53 avec un écart type de 0,67. Ces résultats ont aussi été mis en lien avec les scores obtenus dans ces classes par les tests PASEC. Il ressort des enseignants aux pratiques porteuses d’effets potentiels.

En classe, l’accent est plus sur le collectif que l’individuel

Le diagnostic général montre que la méthode interrogative indifférenciée et les questions fermées avec répétition des réponses par les élèves est prédominante ; il y a beaucoup de sollicitations collectives et une correction collective des erreurs, peu de tâches individuelles ou de groupes.

Le maître est omniprésent, il y a peu d’activité individuelle. Si le poids du climat relationnel positif est important dans les classes, par contre, le domaine didactique a le moins d’observations : la question du savoir, de sa construction, de son appropriation et de son intégration semble ne pas être une préoccupation première et se situe chez les maîtres derrière celle de l’organisation pédagogique.

Le niveau taxonomique des activités proposées est élémentaire : compréhension, répétition, application, restitution. Les chercheurs ont relevé un besoin de structuration des connaissances en dehors de la fixation mnémonique très présente.

Ils ont aussi constaté une faible intervention des enseignants dans la correction des erreurs, qui reste très générale et collective ; les enseignants s’intéressent aux meilleurs élèves et ont tendance à s’intéresser moins aux plus faibles.

A partir de ces résultats des outils de formation ont été conçus pour pallier les manques rencontrés et améliorer la qualité des apprentissages.  Dans un deuxième billet, je parlerai de ces outils.

-------

Le rapport de recherche OPERA est disponible en téléchargement sur le site du programme :

http://opera.ifadem.org/rapport-final (362 pages, .pdf, 5,6 Mo)

Lire aussi

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas divulguée. Tous les champs sont requis

Le contenu de ce champ sera maintenu privé et ne sera pas affiché publiquement.

Comments

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.